Une conférence sur le journalisme interdite. La mémoire de Martinez Zogo invoquée pour bâillonner la presse

Une conférence sur le journalisme interdite. La mémoire de Martinez Zogo invoquée pour bâillonner la presse

Aboubakar Garba, sous-préfet de Bafoussam 1er, a interdit le 07 mars dernier, une conférence envisagée par le regroupement  des médias citoyens pour questionner la pratique du journalisme au Cameroun. L’autorité administrative ne semble pas prendre en compte les Lignes directrices de l’Union africaine sur le respect de la liberté d’association et de réunion.

Dans une correspondance de quatre pages, Aboubakar Garba a rejeté une déclaration de réunion publique formulée par Gustave Flaubert Kengne au nom du Regroupement des médias citoyens. Cet éditeur, par ailleurs directeur de Publication du journal Orientation Hebdo, entendait organiser le 10 mars une conférence débat suivi d’un point presse sur «l’avenir de la pratique du journalisme au Cameroun ». Les activités en question devaient se tenir dans la salle des réunions de l’Union centrale des coopératives agricoles de l’Ouest (Uccao) à Bafoussam.

Suite au refus de l’autorité administrative, le principal organisateur a renoncé, au motif qu’il pourrait être interpellé pour trouble à l’ordre public. Pour justifier le rejet de cette demande de réunion, le sous-préfet de Bafoussam Ier évoque principalement les tensions liées à l’affaire Martinez Zogo au sein de l’opinion et d’éventuelles dissensions internes entre les membres du bureau du Regroupement des médias citoyens.

Un point presse jugé imprécis

Le sous-préfet de Bafoussam Ier brandit l’article 5 de la loi numéro 90-55 fixant le régime des réunions et des manifestations publiques au Cameroun. D’après cette disposition,  « toute réunion publique doit avoir un bureau composé d’au moins trois personnes chargées de maintenir l’ordre, d’empêcher toute infraction aux lois, d’interdire tout discours contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs, ou de nature à inciter à la commission d’actes qualifiés de crime ou délit ».

« Quant au point presse…Il est imprécis. Découlera-t-il des deux points précédents ou fera-t-il un point  d’honneur à la « persécution des journalistes » en l’occurrence à l’assassinat de Martinez Zogo? Tout porte à croire que l’auditoire sera harangué comme ce fut le cas le mois dernier quand des journalistes sans déclaration préalable se sont mobilisés habillés en noir aux alentours de la Caplami(Ndlr : Coopérative agricole des planteurs de la Mifi) de Bafoussam encouragés par certains partis d’opposition et après une conférence de presse satirique du gouvernement se sont dispersés en projetant d’inonder les rues de Bafoussam le lendemain, promesse heureusement non tenue jusqu’à nos jours», écrit le patron de l’arrondissement de Bafoussam Ier.

« Monsieur le Coordonnateur national…il m’est impossible au regard des points inscrits à l’ordre du jour très équivoques, aux pièces-jointes et surtout à l’actualité de l’heure, d’y réserver une suite favorable sans altérer le climat social plus ou moins tendu. L’attention des populations de l’arrondissement de Bafoussam Ier en particulier et du Cameroun en général étant essentiellement rivée sur l’assassinat du très regretté Martinez Zogo», poursuit  l’autorité administrative. Soulignant le point 03 de cette réunion qui devrait se tenir le 10 mars 2023 et relatif à la tenue d’un point presse, le Sous-préfet fait prévaloir « le combat en faveur de la démocratie, des droits de l’homme et de la bonne gouvernance » que mène  le Président de la République du Cameroun.

L’État ne fait pas son travail

Pour Gustave Flaubert Kengne, ce discours « long »,  ne tient pas. Car, pour lui l’attitude de l’autorité administrative traduit simplement que  l’État du Cameroun ne fait pas son travail en ne voulant prendre aucune disposition pour encadrer une manifestation pacifique. Tout comme, il n’est nullement favorable à la liberté d’expression et aux débats contradictoires. En l’espèce, observe Ntiecheu Mama, coordonnateur adjoint du Centre pour la promotion du droit (Ceprod),  il est clair que l’article 9 de la Charte Africaine des droits de l’Homme et des peuples a été violé par l’autorité administrative. Ce texte consacre le droit à l’information et la liberté d’expression. Aussi, les Lignes directrices sur la liberté d’association et de réunion en Afrique n’ont pas été observées. Le point  90 de ces orientations fixées par l’Union Africaine recommande : « Les autorités doivent toujours veiller à faciliter la tenue des rassemblements dans le lieu, à la date et à l’heure choisis par les organisateurs.

a. En imposant des restrictions au lieu, à l’heure ou à la date, les autorités sont censées proposer un autre moment convenable qui permette toujours de faire passer  effectivement le message du rassemblement au public visé.

b. En imposant des restrictions, les autorités veillent à favoriser la tenue du rassemblement en question à la portée du public ciblé, au plan visuel et sonore. »

Le point 91 de ce texte de l’Union Africaine ajoute : «  Toute condition imposée doit être étroitement liée aux problèmes qui se posent en l’occurrence et étudiée de près.

a. Il est prévu d’imposer des conditions sous la seule réserve qu’elles soient très avantageuses pour la circonstance, ce qui n’aurait pas été le cas autrement.

b. Il est interdit de procéder à une application automatique des conditions, sans tenir dûment compte du contexte. L’application des conditions exige, en effet, une évaluation objective et minutieuse des circonstances. »

Guy Modeste DZUDIE(Jade)