Dignité  de la femme au rabais. La mort de Aïcha hante l’univers des prostituées de Bafoussam

Dignité de la femme au rabais. La mort de Aïcha hante l’univers des prostituées de Bafoussam

Mariées sans leur consentement, les filles Mbororos sont habituellement  victimes de violences et d’exploitation sexuelle. L’une d’elle a trouvé la mort il y a près deux mois alors qu’elle attendait les clients du « petit matin » à la deuxième rue du quartier Nylon à Bafoussam.

A l’aube de  ce mercredi 02 mars 2022, Aicha, la trentaine passée et fille de joie au lieu-dit Carrefour Auberge est d’une humeur acariâtre. Elle vient d’accompagner un «client»  avec qui elle a passé du temps pour une relation sexuelle contre rémunération. Avant le lever du soleil, elle espère attraper un autre partenaire de circonstance. Dans un français très approximatif, elle lance à l’endroit de tout homme de passage, « chéri, on peut aller… ». « Les temps sont difficiles. Les hommes ne donnent plus de l’argent aux femmes. Nous souffrons ici au Carrefour de l’Auberge. J’y suis depuis cinq ans. Ce que je fais ne m’apporte pas grand-chose. Les clients payent 500 Fcfa pour « un coup d’éjaculation. Celui qui passe la nuit avec toi te donne entre 2000 et 3000 FfCfa » », explique-t-elle,  dépitée.

Ce qui laisse supposer qu’elle se livre à la prostitution par contrainte et un manque d’encadrement social. « Je suis Mbororo et originaire de Mbengwi dans la région du Nord-Ouest. J’étais mariée à un homme de ma communauté. Nous étions à Foumban. J’ai fait deux enfants. Je soufrais beaucoup. Mon mari me battait.  Je me suis séparée de lui. J’ai fui pour venir me chercher ici à Bafoussam. Je ne peux rentrer à Mbengwi. Mes frères et mes parents doivent me renier », soutient-elle. «  Nous sommes exploitées par les bailleurs qui nous torturent. Les autres filles du dehors (NDLR/ :prostituées) n’aiment pas nous voir… Toutes nos recettes couvrent les frais de location journalière de la chambre. Malades, on ne peut pas se soigner, faute d’argent. Une autre Aïcha est morte ici il  y a à peine deux mois. Elle s’est écroulée en pleine rue et a rendu l’âme, sans aucune assistance », se lamente-t-elle.

Victimes des mariages forcés

Awa, jeune fille Mbororo d’environ 20 ans, vit une situation quasi-similaire. Elle  est l’un des visages qui attirent l’attention de ceux qui se livrent, de nuit, à la fréquentation des snack-bars dancings au Carrefour de l’Auberge à Bafoussam. Ce soir de février 2022, elle n’a pas manqué de se brancher pour venir « attaquer » les clients dans les buvettes. Vêtue d’une culotte « Jean », son ventre est à moitié couvert par un Tee-shirt qui laisse entrevoir son nombril. Elle consomme de l’alcool en abondance et  fume des cigarettes, sans aucune crainte. En fait, elle proclame sa rupture avec le mode de vie de ses parents. Elle est prête à aller dans sa chambre avec n’importe qu’elle prétendant qui peut payer pour quelques minutes de plaisir sexuel. « Je suis ici pour chercher mon argent. Je ne veux dépendre d’aucun homme. C’est ma vie… », soutient-elle. En effet, elle  a abandonné son foyer dans le village Mbororo de Didango pour se livrer à la prostitution. 

« Je n’ai pas assez fréquenté. Je me suis arrêté en classe du Cours élémentaire deuxième  année. J’ai été envoyée de force, il y a six ans,  sans acte de mariage,  chez un papa de 60 ans alors que je n’avais que 14 ans. J’étais sa quatrième femme. Il ne parvenait pas à subvenir à mes besoins. Je ne me sentais pas à l’aise là-bas. Jai fui pour venir ici à Bafoussam pour me débrouiller», rapporte-t-elle. Comme Awa, plus d’une vingtaine de filles et femmes Mbororos font partie de la cohorte des prostituées qui peuplent les rues du Carrefour Auberge à Bafoussam ou les coins chauds des villes comme Bangangté, Bafang, Mbouda et Dschang. Certaines, à l’instar de Fatima, se plaignent d’avoir été victimes de violences conjugales. « J’étais battue chaque fois par mon mari. Mes parents me demandaient de supporter. Je ne savais à qui me plaindre. J’ai déserté le campement de Sagba près de Bamenda pour venir ici au Carrefour de l’Auberge », soutient-elle. Habiba quant à elle, se trouve à Bafoussam depuis 2019, suite aux atrocités subies par les membres de la communauté Mbororo dans la guerre du Noso, elle a rejoint Bafoussam et se trouve obligée de se livrer à la prostitution pour survivre….

Il s’agit, selon madame Kouam, assistante sociale en service dans la commune d’arrondissement de Bafoussam IIème,  dans la majorité des cas, de femmes mariées précocement, sans leur consentement, à des hommes plus âgés et polygames. «Nous avons lancé une opération de recensement des déplacés internes de la crise anglophone qui se trouvent dans notre circonscription. Nous avons un regard particulier sur le cas des filles et femmes Mbororos. Elles sont de plus en plus nombreuses dans les réseaux de la prostitution… Nous sensibilisons les jeunes filles Mbororos des campements et les leaders communautaires de cette couche sociologique sur les méfaits des mariages précoces », souligne cette fonctionnaire du ministère des Affaires sociales. Des initiatives similaires sont portées au niveau de la délégation régionale du ministère de la Promotion de la femme et de la famille à l’Ouest.

Un service gratuit de juristes

Jacqueline Sylvie Ndongmo,  présidente de la ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté, agrégé en anglais Wilpf Cameroon, dénonce cette situation et appelle les victimes des abus sexuels à solliciter la clinique mobile qui  est un outil qui permet d’accompagner les populations. “Nous avons à travers nos recherches, à travers les interactions avec les autorités locales, eu à comprendre que le département des Bamboutos n’est pas épargné des multiples violences. Il ne se passe pas une semaine sans qu’un cas de violence sexuelle ne soit rapporté. Il y a les problèmes fonciers, il y a des violences domestiques etc. Il est important que les populations de Mbouda, les autorités de Mbouda, puissent s’appuyer sur la clinique qui est dotée de juristes, d’avocats, de magistrats, qui apportent gratuitement leur conseil aux victimes. Donc c’est une aubaine que les populations doivent saisir. Parce qu’en temps normal, avoir accès aux avocats nécessite des frais qui sont de plus en plus importants dans notre société. Donc nous avons là un pull d’avocats, un pull de magistrats, un pull de juristes qui sont disposés à accompagner la population, et nous voulons le faire savoir aux autorités, mais également d’en  faire profiter les populations”. Le combat de cette militante va dans le sens du respect des exigences du protocole de Maputo additif à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et relatif aux droits de la femme en Afrique. 

Ce texte prescrit en son article 2, l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes
Le droit à la dignité constitue le point saillant de l’article 3 dudit protocole. « 
« 
1. Toute femme a droit au respect de la dignité inhérente à l’être humain, à la reconnaissance et à la protection de ses droits humains et légaux.

4. Les Etats adoptent et mettent en œuvre les mesures appropriées afin d’assurer la protection du droit de la femme au respect de sa dignité et sa protection contre toutes formes de violence, notamment la violence sexuelle et verbale. »

Au-delà des célébrations festives du 08 mars 2022, l’Etat du Cameroun va-t-il  mettre en  mouvement les instruments juridiques et administratifs en matière de protection des femmes et filles victimes des violences et  abus sexuels ?

Guy Modeste DZUDIE(JADE)