Un technicien-monteur de films arrêté par des militaires

Un technicien-monteur de films arrêté par des militaires

Douala. Steve Fotso a été interpellé sans mandat, ni plainte préalable, puis conduit à la Sécurité militaire à la suite de désaccords autour de la propriété intellectuelle d’une série télévisée intitulée « Miraculée ». Il y a été gardé à vue pendant sept jours.   

Le 03 avril 2023, peu avant 18 heures, des hommes en civil à bord de trois voitures banalisées ont interpellé le technicien-monteur Steve Fotso dans un petit restaurant situé en face d’un supermarché au quartier Bonamoussadi à Douala. Le professionnel des médias audiovisuels s’était retrouvé là avec quelques confrères pour réfléchir sur les solutions à un conflit entre deux membres de leur corporation concernant la propriété d’une série télévisée, et dans lequel ce personnel technique était aussi impliqué. Contre toute attente, le technicien a été conduit de force au siège de la Sécurité militaire à Bonanjo. Il a été détenu pendant sept jours dans cette unité compétente uniquement pour connaître des conflits militaires ou des cas de grande criminalité avec constat de port illégal d’armes à feu et non pour des conflits privés, comme l’affirme maître Guy Alain Tougoua, avocat au barreau du Cameroun.

Selon des témoins de la scène d’interpellation, les militaires ne possédaient pas de mandat d’arrêt. « Steve se trouvait dans un burger en face d’un supermarché. A 16 heures, Flavienne Tchatat l’a appelé pour le rassurer qu’une solution sera trouvée à leur problème. Elle lui a ensuite demandé d’attendre là où ils étaient. C’est alors qu’elle est arrivée avec quatre hommes en civil, tous armés. La productrice s’est avancée vers Steve et ses amis », affirme un cinéaste mobilisé depuis lors pour obtenir la libération de son confrère. L’avocat de Steve Fotso a lui aussi demandé la mise en liberté provisoire du technicien. Sans succès. Plus grave, des proches de Steve Fotso déclarent que depuis le 08 avril, ils ne sont plus autorisés à lui rendre visite. Or les visites font partie des droits de tout justiciable en posture de défense, qu’il soit suspect, reconnu coupable ou condamné. 

Une affaire de contrat non respecté

Bien que nous n’ayons eu aucune copie d’une plainte justifiant l’arrestation et la détention de Steve Fotso, nous avons néanmoins appris qu’il est reproché à ce technicien de montage d’avoir facilité la disparition du disque dur contenant une série télévisée intitulée « Miraculée », conçue pour être diffusée en 26 épisodes sur une chaîne de télévision camerounaise. Accusé de confiscation du disque dur, Tobie Bidzanga Bela, le réalisateur de la série, se dit étonné de n’avoir, jusqu’à cette date, reçu aucune convocation ni plainte. Pour comprendre cette affaire, il faut remonter au contrat de coproduction signé le 25 octobre 2022 liant Flavienne Ndjatcho Tchatat et Tobie Bidzanga Bela, professionnels de la production cinématographique. Dans ledit contrat, Flavienne Ndjatcho, la propriétaire de Divinehalls s’engage à « assurer l’expertise technico-artistique » de l’œuvre en qualité de producteur exécutif, tandis que Tobie Bidzanga en assure la réalisation et le développement du scénario.

Le contrat fixe également la modalité de partage des revenus. Soit 70% pour la productrice Flavienne Ndjatcho et 30% pour Tobie Bidzanga, auteur de l’idée originale et réalisateur. Seulement, alors que trois épisodes du film sont déjà prêts, Flavienne Ndjatcho organise à Douala, le 31 mars 2023, la sortie officielle de l’œuvre sans y associer le coproducteur Tobie Bidzanga. Ce qui aux yeux du réalisateur dénote la « mauvaise foi » de la co-contractante. Même la mise en demeure servie à Flavienne Ndjatcho depuis le 02 mars par son partenaire Tobie Bidzanga, l’invitant à « respecter les clauses et conditions du contrat », ne va pas la dissuader. « Contre toute attente, hormis le fait que vous vous êtes approprié son scénario, vous vous êtes permis de nouer des partenariats à son insu avec des tiers sans aucune contrepartie de sa part, ce, en violation des dispositions du contrat qui vous lie », écrit le conseil de Tobie Bidzanga.

« Détention arbitraire »

C’est alors que le réalisateur va user d’astuce pour s’emparer du disque dur du film, ce alors que, depuis quelques jours sa partenaire lui interdit l’accès des locaux de la production. Une interdiction qui, à ses yeux, est synonyme de son exclusion définitive de son propre projet. De même que le droit du réalisateur tel que prévu par le contrat a été ainsi violé, de même l’interpellation de Steve Fotso sans mandat d’arrêt relève d’un abus et d’une violation flagrante du code de procédure pénale en vigueur. Tout comme l’interdiction de visite est dénoncée par l’article 9 du Pacte International des Droits Civils et Politiques (PIDCP). Cet article dispose en son alinéa 1 que « Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul ne peut faire l’objet d’une arrestation ou d’une détention arbitraire. Nul ne peut être privé de sa liberté, si ce n’est pour des motifs et conformément à la procédure prévue par la loi. »  

L’alinéa 2, quant à lui, stipule que « Tout individu arrêté sera informé, au moment de son arrestation, des raisons de cette arrestation et recevra notification, dans le plus court délai, de toute accusation portée contre lui. » A moins qu’un individu n’ait commis une infraction dans les locaux d’un service militaire, ou que les clauses du contrat donnent compétence à une instance militaire pour connaître des contentieux, ou encore qu’une requête en intervention soit adressée au commissaire du gouvernement ou du Procureur général. Ce qui n’est pas le cas dans cette affaire. L’arrestation de Steve Fotso n’est donc nullement justifiée.

Jointe au téléphone lundi, 10 avril, Flavienne Ndjatcho Tchatat, après un premier échange interrompu, a déversé sa colère contre nous en ces termes : « On a été coupés parce que, ce que vous racontez, franchement, je ne sais même pas qui vous donne le courage de m’appeler et de me raconter des « conneries » pareilles. J’ai fait un point de presse où vous pouviez venir là-bas poser vos questions. Puisque c’est l’arrestation qui vous intéresse et non l’incendie dont j’ai été victime, et non les coups que j’ai subis, allez mettre vos questions-là où vous voulez. Ecoutez, je me suis transformée en gorille et je l’ai [Steve Fotso, ndlr] avalé. Partez écrire sur la toile. » Nous n’avons été au courant ni de la conférence de presse dont elle parle, ni de l’incendie de son domicile qu’elle aurait provoqué pour accuser Tobie, selon ce dernier.    

Théodore Tchopa (Jade)