Un défenseur des droits de l’homme risque la prison à vie

Un défenseur des droits de l’homme risque la prison à vie

Crise anglophone. L’enseignant est poursuivi pour financement d’actes de terrorisme. Le ministère public requiert une condamnation à la peine maximale. La défense dénonce un procès fantaisiste. 

Le tribunal militaire de Yaoundé entend passer un message fort à tous les défenseurs des droits de l’homme exerçant dans les régions anglophones. Adamou Wakiri,  président de l’Ong des droits de l’homme dénommée Menchum Cartel association et président des éleveurs dans le département de la Menchum, région du Nord-Ouest, risque la prison à vie. Lors de l’audience tenue ce 17 août 2022 au tribunal militaire de Yaoundé, le ministère public a requis la condamnation à la peine maximale de ce défenseur des droits de l’homme pour des faits d’actes de terrorisme et financement d’actes de terrorisme. En attendant le verdict prévu le 21 septembre prochain, l’accusé ne cesse de dénoncer un règlement de compte dont il fait l’objet de la part de certains de ses proches constitués dans cette affaire comme partie civile.

Selon le ministère public, l’accusé qui est également le président des bergers dans le département de la Menchum et enseignant en service dans une école publique à Wum, a été aperçu plusieurs fois en compagnie de groupes séparatistes  qui sévissent dans les deux régions anglophones. Il est également accusé d’avoir soustrait plusieurs bœufs appartenant à un grand homme d’affaires. Le ministère public explique que les bœufs volés ont été vendus au Nigeria et l’argent perçu a servi à l’achat de plusieurs armes à feu. Adamou Wakiri est également accusé de renseigner les hommes armés sur les mouvements des populations dans la ville de Wum.  On lui reproche aussi d’avoir saccagé les locaux d’une agence de téléphonie dans la ville de Wum. 

Lors de l’audience du 20 juillet dernier au tribunal, Adamou Wakiri pensait  qu’en se présentant comme défenseur des droits de l’homme, le tribunal allait comprendre que les faits qui lui sont reprochés relèvent de la fantaisie. Malheureusement, le président du tribunal a mal digéré que cet accusé puisse se présenter comme un militant. Le magistrat militaire a profité de l’occasion pour faire le procès de certaines associations qui, selon lui, soutiennen
les terroristes. Il a demandé au prévenu s’il est parmi les défenseurs des droits de l’homme qui font des graves accusations à l’encontre de l’armée camerounaise, tout en ignorant les exactions des séparatistes sur les soldats et les civils.

Ce magistrat militaire a également demandé au prévenu pourquoi il met de côté sa casquette d’enseignant pour présenter plutôt sa carte de membre de l’association qu’il dirige. Comme défenseur des droits de l’homme, Adamou Wakiri a expliqué comment il intervenait au sein de sa communauté. « Mon rôle était de recueillir les dénonciations des populations liées aux violations des droits de l’homme afin de les répercuter aux autorités municipales, administratives et policières de Wum », a-t-il indiqué.

Procès fantaisiste 

Me Alima, l’avocat d’Amadou Wakiri, a relevé ce 17 août à l’audience que les accusations retenues contre son client sont fantaisistes. « On ne peut pas vous accuser d’avoir acheté une arme sans qu’on ne vous interpelle en possession de cette arme ou sans mettre la main sur un suspect qui aurait acheté l’arme chez vous. Le ministère public n’a rien trouvé dans les comptes bancaires de mon client qu’on accuse de financement de terrorisme. Par ailleurs, comment un seul individu peut aller saccager une agence de Nextell dans une localité comme Wum sans que les forces de l’ordre et les populations ne puissent le maîtriser ? », s’interroge l’avocat qui estime que son client est victime d’un règlement de compte au sein de sa propre famille. L’avocat estime que Adamou Wakiri a été victime d’une arrestation arbitraire et que son jugement viole les dispositions de l’article 7 de la charte africaine des droits de l’homme et des peuples qui dispose : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend le droit d’être jugé dans un délai raisonnable par une juridiction impartiale ».

Gaby Ambo, responsable d’une association de défense des droits de l’homme à Bamenda explique que depuis le déclenchement de la crise anglophone dans les deux régions, plusieurs activistes chargés des droits de l’homme ont été interpellés et jetés en prison. C’était le cas en 2017 de Agbor Balla, le président de Chrda. Gaby Ambo affirme que, par crainte des  représailles, d’autres défenseurs des droits de l’homme se sont exilés.  Suite à l’interpellation d’Adamou Wakiri, les associations de défense des droits de l’homme dans la région du Nord-Ouest ont exigé sa libération.

 Depuis le déclenchement de la crise socio-politique dans les deux régions en crise, les travailleurs humanitaires, les défenseurs des droits de l’homme et plusieurs civils sont souvent jugés pour des actes de terrorisme. Les défenseurs des droits de l’homme et la Communauté internationale continuent de dénoncer cette loi antiterroriste qui, « parfois est appliquée pour régler des comptes ».

Dans le cadre de la crise anglophone et la crise sécuritaire dans la région de l’Extrême-Nord du Cameroun, les associations de défense des droits de l’homme sont souvent accusées par les autorités gouvernementales  de coopérer avec les groupes séparatistes et les groupes terroristes. C’est le cas avec l’Ong internationale Human Rights Watch (HRW). Les rapports sur la situation des droits de l’homme  publiés par cette Ong,  relevant les cas de bavures de certains éléments des forces de l’ordre sont généralement perçus par le pouvoir de Yaoundé comme un soutien aux « ennemis de la république ». Les autorités camerounaises ont menacé d’interdire  d’exercice  plusieurs Ong des droits de l’homme qui semblent tenir le discours contraire à celui du pouvoir dans le cadre des multiples crises sécuritaires qui sévissent dans le pays.

Prince Nguimbous (Jade)