Torturé et enchaîné, Serges Nana sort brisé de 11 mois de prison

Torturé et enchaîné, Serges Nana sort brisé de 11 mois de prison

Abus. Pendant ses onze mois d’incarcération, l’enseignant de 35 ans, militant du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC), un parti politique durement réprimé par le régime au pouvoir, a subi des traitements dégradants. En violation du code pénal camerounais et des traités internationaux.

Le corps de Serges Nana est couvert de cicatrices et d’excroissances de peau réparties au niveau des cuisses, du pied et de la cheville gauche. Ces stigmates, qui forment des croûtes noires dures, sont dues, selon l’ancien détenu, aux tortures et autres formes de traitements dégradants qu’il a subis pendant ses onze mois de détention à la prison centrale de Kondengui, au secrétariat d’État à la défense (SED) et à la prison principale de Mfou, dans la banlieue de Yaoundé. « J’ai des blessures à la cuisse, j’ai des cicatrices au pied, et ma cheville gauche est enflée », explique-t-il, en soulevant son tricot et son short vert citron, pour nous faire voir les stigmates de ces traitements abusifs. La tête, elle aussi, présente des cicatrices. « Quand je me tiens debout, j’ai des vertiges et je dois aussitôt m’asseoir », poursuit-il. Cet amateur du football craint de ne plus pouvoir taper sur un ballon dans un stade. Il marque des pas en claudiquant en cette mi-décembre 2020.

Serges a été libéré au début de ce douzième mois, avec huit autres personnes, militantes ou sympathisantes du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun, un parti politique de l’opposition dont les activités politiques, ainsi que les revendications pacifiques, sont durement réprimées par les forces du maintien de l’ordre, sur instruction du gouvernement, ce depuis l’élection présidentielle contestée du 07 octobre 2018. Militant de ce parti, Serges Nana avait été interpellé à Bangangté, dans la région de l’Ouest Cameroun, lors des « marches blanches » organisées par le président national du MRC, le 26 janvier 2019, pour revendiquer sa « victoire volée » à l’issue du scrutin présidentiel. Conduit à la Division régionale de la police judiciaire de l’Ouest, Serges a été transféré à la direction nationale de la Police judiciaire, à Yaoundé, puis placé en détention provisoire à la prison centrale de Kondengui. 

14 jours avec des chaînes 

Lors d’une émeute aux origines floues, survenue à la prison de Yaoundé, Serges est interpellé avec une dizaine d’autres détenus militants du MRC. Ils sont extraits de prison et conduits au Secrétariat d’Etat à la Défense. « Tout le monde y a été torturé. On nous versait de l’eau, on nous tabassait, on frappait nos genoux et nos tibias avec la matraque. On utilisait aussi des câbles de courant pour nous fouetter », déclare l’ancien pensionnaire des prisons de Yaoundé et de Mfou. En plus de ces instruments de torture, les tortionnaires de Serges se sont servis de la crosse du fusil pour lui frapper la cheville du pied gauche, dit-il. Pendant qu’il remplissait les formalités en vue de sa levée d’écrou, au lendemain de sa libération, l’enseignant de 35 ans nous a déclaré : « Je dois faire un bilan médical, parce que j’ai des problèmes érectiles. J’ai du mal à ‘‘me lever” (retrouver l’érection, ndlr). Ils frappaient mes testicules avec du caoutchouc, en me demandant si le MRC nous avait donné de l’argent pour marcher. » 

Serges Nana est transféré par la suite à la prison de Mfou, à une vingtaine de kilomètres de Yaoundé. Pendant qu’il y est, une information accablant le gouvernement est diffusée sur la toile. L’auteur du buzz dénonce l’arnaque des détenus à la prison de Mfou. Le régisseur tient Serges pour responsable, d’après l’ex-détenu. L’accusé s’en défend en vain, arguant qu’il ne possède pas de téléphone en prison. « Ils m’ont enchaîné pendant 14 jours dans une cellule qui n’avait pas de fenêtre, où il n’y avait pas la moindre lumière. J’en suis sorti avec des hématomes et des mycoses sur la peau. On m’a prescrit des médicaments que j’ai achetés », déclare-t-il en nous montrant ses reçus. Le 24 décembre 2020, il a effectué dans différents centres de santé à Bafoussam, des examens en neurologie, diabétologie et traumatologie, entre autres. Les résultats révèlent « un trauma à la cheville gauche, des crampes dans les orteils, DT2 en déséquilibre glycémique, hyper uricémie, hypo magnésium ». Le commentaire du médecin est formulé comme suit : « métabolisme anormal du glucose ou diabète insuffisamment contrôlé. » Selon le patient, bien qu’il soit fils d’une mère diabétique, son état sanitaire n’aurait pas connu cette instabilité s’il n’avait subi une longue période de sédentarité due à son emprisonnement, aux traitements dégradants et à l’absence de sport.

Des violations graves

Pendant sa détention au SED et à la prison de Mfou, Serges affirme n’avoir eu droit à aucune communication, ni à aucune visite, même pas celle de son conseil, en violation du code de procédure pénale de 2006. Mercredi 06 janvier 2021, nous avons contacté une source policière au courant de l’affaire, domiciliée à Mfou. L’homme en tenue a déclaré : « A ma connaissance il n’y a jamais eu de mauvais traitement, et puis, je ne suis pas la personne habilitée à vous donner des informations. J’ai une hiérarchie. » Nous avons ensuite contacté le service de communication de la gendarmerie nationale. Notre interlocutrice nous a demandé de rédiger une lettre de demande d’information, après avoir déclaré : « Il n’y a pas de réaction officielle ».

Au titre de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP), adoptée le 27 juin 1981 et entrée en vigueur le 21 octobre 1986, la torture sous toutes ses formes (physique et morale), les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, constituent des formes d’exploitation et d’avilissement de l’homme, et pour cela ils sont interdits. « Nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants », préviennent la Déclaration universelle des droits de l’homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (en vigueur depuis le 23 mars 1976), respectivement en leurs articles 5 et 7. A cet effet, la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants prescrit à tout Etat partie de « prendre des mesures législatives, administratives, judiciaires et autres mesures efficaces pour empêcher que des actes de tortures soient commis dans tout territoire sous sa juridiction ». 

Dans cette perspective, le code pénal camerounais, en son article 277-3, alinéa 2, punit à la peine d’emprisonnement de dix à vingt ans, toute forme de torture, lorsque celle-ci cause à la victime la privation permanente de l’usage de tout ou partie d’un membre, d’un organe ou d’un sens. « La peine est un emprisonnement de cinq à dix ans et une amende de 100 000 à un million de francs lorsque la torture cause à la victime une maladie ou une incapacité de travail supérieure à 30 jours. » Elle est de deux à cinq ans assortie d’une amende de 50 000 à 200 000F, lorsque l’incapacité est égale ou inférieure à 30 jours. »

Théodore Tchopa (JADE)