Sénatoriales 2023.  Aucun mbororo sur une liste dans le septentrion

Sénatoriales 2023. Aucun mbororo sur une liste dans le septentrion

Une marginalisation de plus pour ce peuple minoritaire

Après avoir rendu public la liste des candidats pour l’élection sénatoriale du 12 mars 2023, le constat est clair. Dans toute la partie septentrionale du Cameroun voire l’Est, aucun parti politique n’a voulu investir un candidat mbororo sur sa liste.

Ce peuple minoritaire toujours acquis à la cause du Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (Rdpc), le parti du Président de la République, se voit une fois de plus marginalisé. Aujourd’hui, toute la communauté mbororo s’insurge contre les choix qui ont été opérés non seulement au sein du Rdpc, mais aussi dans tous les partis politiques en compétition. « Dans la seule région de l’Adamaoua, nous sommes plus de 50.000, mais comme ils aiment bien nous appeler les nomades, aucun parti politique n’a investi un mbororo, même pas le Rdpc où je suis conseiller municipal. Je peux vous rassurer que ce n’est pas le potentiel qui manque, surtout chez les hommes », fustige Oumarou Sanda Habane, secrétaire général adjoint du bureau national de l’Association pour le Développement Socioculturel des Mbororos (Mboscuda).

Selon certaines indiscrétions au sein des partis politiques, l’absence des mbororo sur la liste de l’Union Nation pour la Démocratie et le Progrès (Undp) dans la partie septentrionale du pays, se justifie par le manque d’engouement, d’engagement politique de ces derniers. « Dans la région de l’Adamaoua, nous n’avons pas procédé par une confection des listes par les candidats. Il y a eu 40 personnes qui ont déposé leurs dossiers moi y compris, et le Président National de notre parti est reparti avec les 40 dossiers à Yaoundé pour confectionner une liste de sept sénateurs titulaires et sept suppléants. Je peux vous rassurer que, dans les 40 dossiers qui étaient partis à Yaoundé, il n’y avait pas un dossier mbororo. Personne n’a interdit à un mbororo de déposer son dossier », nous renseigne sous anonymat un candidat Undp dont le dossier n’a pas été retenu dans l’Adamaoua. Dans le parti d’en face à savoir le Rdpc, personne ne veut en parler de ce sujet, car disent-ils, « c’est trop sensible ».

La loi

Dans l’un des conditions qui régissent la validation d’une liste en course à une élection sénatoriale, il y a les conditions collectives avec un point particulier sur l’intégration nationale qui dit : « La liste tient compte de la représentation des différentes composantes sociologiques et des minorités ».

Plus loin, le Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques (Pidcp) dans son article 25 alinéa b précise que, « tout citoyen a le droit et la possibilité, sans aucune des discriminations visées à l’article 2 et sans restrictions déraisonnables, de voter et être élu, au cours d’élections périodiques, honnêtes, au suffrage universel et égal et au scrutin secret, assurant l’expression libre de la volonté des électeurs ». Et à l’alinéa c du même article 25 du Pidcp d’ajouter que, « tout citoyen a le droit d’accéder, dans les conditions générales d’égalité, aux fonctions publiques de son pays ». Aujourd’hui rien de ça n’est respecté au Cameroun du moins en faveur de cette minorité qu’est le peuple mbororo. Pour cette élection sénatoriale de 2023 qui aura lieu le 12 mars prochain, tous les mbororo ont les yeux rivés vers le palais d’Etoudi, où ils espèrent qu’un de leurs fils sera nommé sénateur titulaire par le Chef de l’Etat, à qui la législation octroie le pouvoir de nommer 30 sénateurs sur les 100 que compte la chambre haute.

Interview.

Oumarou Sanda Habane, SGA bureau national Mboscuda

« Nous vivons là, la continuité de la marginalisation et de la discrimination »

Par F.E

Quelle est votre réaction sur l’absence des mbororo sur les listes sénatoriales de 2023 ?  

Nous pensons que la décentralisation sera un handicap pour nous les mbororo, bref pour les minorités. Nous avons un poids électoral très important dans la partie septentrionale du Cameroun, à l’Est, à l’Ouest, dans le Nord-Ouest et dans une partie de la région du Centre comme le Mbam et même Yaoundé. Je pense que l’histoire du Cameroun est male enseignée aux camerounais parce que c’est chacun qui veut tirer la couverture de son côté en lieu et place de la vérité. C’est pour cette raison que les gens se disent qu’avec la décentralisation, les gens vont se poser la question de savoir quelles sont les communautés à diriger les premières politiques de la décentralisation. Les gens verront peut-être que les premières communautés à diriger les premières collectivités territoriales décentralisées, ou les premiers sénateurs, les conseillers régionaux comme étant les autochtones. Vous comprenez que, si vous n’entrez pas dans cette histoire et que peut-être après dix ans on essaye de vous interroger, on va croire que vous venez d’arriver parce que vous ne faites pas parti de ces premières politiques à gouverner la décentralisation.

Ceci confirme l’exclusion, le regard qu’on a vis-à-vis des mbororo malgré que vous avez une forte présence. A la fin vous ne représentez rien car vous n’avez pas la représentativité. Il faut savoir que dans les partis politiques, il faut avoir les parrains, et, ce sont ces parrains qui nous manquent malgré notre masse populaire, nous venons seulement voter et applaudir. Je pense que nous constituons une menace politique pour certaines personnes qui pensent que, si on investit les mbororo et comme ils sont nombreux, ils peuvent prendre les choses demain en main. Ca c’est ma pensée à moi. Nous vivons là, la continuité de la marginalisation et de la discrimination que nous décrions toujours que les mbororo sont victimes.

Vous ne pouvez pas faire une liste dans l’Adamaoua où il n’y a aucun mbororo. Je vous assure que si vous partez sur la chéquier politique c’est-à-dire les électeurs, vous allez vous rendre compte que dans la masse, les mbororo représentent une grande partie. Malheureusement nous n’avons aucun candidat dans les listes des régions de l’Adamaoua, de l’Est, du Nord-Ouest ; ça fait froid au dos, à la limite ça fait peur. Dans la région de l’Ouest où les mbororo sont plus dans le Rdpc, nous avons juste un sénateur suppléant sur la liste Rdpc. Pendant ce temps, un parti d’opposition comme l’UDC nous a offert une place de titulaire dans sa liste. Il n’y a pas vraiment une reconnaissance vis-à-vis des mbororo. Regardez tout le combat qu’a mené Ahmadou Ahidjo dans le Noun à l’Ouest.

Tous les candidats qui étaient tête de liste ont été pris comme titulaire, mais lui, comme il est mbororo, on l’a mis comme suppléant. Ca fait mal surtout que c’est un combat qu’il a mené pendant longtemps et il s’est investi dans le parti Rdpc. Si je vous prends l’exemple de Ngaoundal d’où je viens, l’Undp a eu deux mandatures successives à la commune parce c’est les mbororo qui votaient et les autres les excluaient. Mais depuis que le nouvel exécutif communal de Ngaoundal a mis un sang neuf et certains qui représentent les mbororo ont compris que leurs voix allaient compter pour le changement. C’est ainsi que la mairie de Ngaoundal a basculé du côté du Rdpc.

Selon vous, quelle place occupe le mbororo aujourd’hui par rapport à cette sénatoriale ?

Cette discrimination fait en sorte qu’aujourd’hui qu’on pense que la mort d’un lion a plus de valeur ou plus de bruit que dix mbororo morts que personne ne saura. Mais Mboscuda continue à travailler avec le gouvernement du Cameroun pour que les choses changent davantage. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous avons saisi le Président de la République pour son indulgence, sa magnanimité afin que dans le cadre des sénateurs nommés, s’il peut nommer un mbororo comme sénateur titulaire.

Est-ce que le mbororo s’intéresse vraiment à la politique ?

Oui les mbororo s’intéressent à la politique. Ils sont massivement inscrits sur les listes électorales d’abord parce que, lors d’un contrôle, lorsqu’un mbororo présente sa carte nationale d’identité, la police ou la gendarmerie lui exige encore sa carte d’électeur. Ensuite, les gendarmes et les policiers leur disent souvent que, s’ils ne votent pas ils seront arrêtés. Donc par peur les mbororo vont aux urnes massivement. 

A vous entendre, c’est comme si aucun parti ne vous a fait une proposition ?

Dans le cadre du Rdpc, on nous a fait une mauvaise proposition, et, c’était à dessein. Ils nous ont demandé dans le département du Mbéré région de l’Adamaoua de présenter une Dame mbororo de 40 ans diplômées pour être suppléante. Cette proposition était tout simplement pour nous mettre dos au mur, car ils savent qu’on ne pouvait pas trouver aujourd’hui une femme mbororo de 40 ans diplômée. Vous connaissez bien l’histoire de nos femmes. Dans la région de l’Est, on avait un sénateur suppléant pour cette mandature qui s’achève qui avait bénéficié du soutien du feu ministre Gabriel Dodo Ndoke paix à son âme. Pour cette année, le ministre l’avait proposé comme candidat titulaire du Rdpc, malheureusement avec la mort du ministre, on a enlevé son dossier sur la liste.             

Par Francis Eboa (Jade)