Ngaoundéré. Heurts et malheurs des victimes de fistules obstétricales

Ngaoundéré. Heurts et malheurs des victimes de fistules obstétricales

Certaines sont répudiées de leurs mariages et exclues de leurs familles

« Je suis arrivée ici en dégageant une forte odeur, et aujourd’hui je me sens très bien, je n’ai plus de problème de fistules obstétricales. J’ai souffert avec cette maladie pendant 10 ans. A peine j’ai commencé à faire la maladie, mon mari m’a répudié après 20 ans de mariage avec cinq enfants à la clé, malheureusement trois sont décédés et il n’en reste que deux. Je suis allée en mariage j’avais 17 ans ». Histoire poignante d’une femme rencontrée à l’hôpital norvégien de Ngaoundéré. Par peur de subir à nouveau une autre forme de stigmatisation liée à cette maladie dont elle a souffert pendant dix ans, nous avons choisi de la garder sous anonymat. « J’ai eu la chance que, pendant cette maladie, ma famille était à mes côtés. C’est un ouf de soulagement pour moi au moment où je m’apprête à sortir de l’hôpital norvégien de Ngaoundéré après mon traitement. Merci à cet hôpital de m’avoir redonné ma valeur de femme ». Indique cette dernière

Communément appelée la « maladie de la honte », la fistule obstétricale n’est pas une maladie comme toutes les autres. Sa particularité vient du fait qu’elle s’attaque uniquement aux femmes pendant l’accouchement, où pendant toute la période de maladie, les selles et les urines sortent à tout moment par le vagin. Ce qui laisse donc la patiente dégager de fortes odeurs sur elle de jour comme de nuit. Conséquence, beaucoup de femmes souffrant de cette maladie perdent leurs mariages et, certaines d’entre elles sont refoulées également au sein de leurs familles. Pourtant, cette discrimination que subissent ces dames souffrant des fistules obstétricales est réprimandée au Cameroun. En effet, le 23 août 1994, le Cameroun a ratifié la convention sur l’élimination de toutes les formes de discriminations à l’égard des femmes.

« Maladie de la honte »

Dans son article 28, cette convention stipule que, « chaque individu a le devoir de respecter et de considérer ses semblables sans discrimination aucune, et d’entretenir avec eux des relations qui permettent de promouvoir, de sauvegarder et de renforcer le respect et la tolérance réciproque ». Or, ces femmes qui souffrent des fistules sont généralement des sujets de moqueries au sein de la société camerounaise, d’où le nom « maladie de la honte », attribué aux fistules obstétricales. C’est dire que, l’Etat s’est probablement désengagé de cette convention du 23 août 1994 où il est écrit dans son article 2, « les Etats parties condamnent la discrimination à l’égard des femmes sous toutes ses formes, conviennent de poursuivre par tous les moyens appropriés et sans retard une politique tendant à éliminer la discrimination à l’égard des femmes et, à cette fin, s’engagent à : alinéa D s’abstenir de tout acte ou pratique de discrimination à l’égard des femmes et faire en sorte que les autorités publiques et les institutions publiques se conforment à cette obligation ».

En réalité, dans la région de l’Adamaoua, ces femmes parviennent à être soulagées de cette maladie grâce à un partenariat signé entre Unfpa et l’hôpital norvégien de Ngaoundéré. Ainsi, en 2017, ce partenariat a permis de guérir 45 femmes. En 2018, elles étaient 25 à se faire réparer leurs fistules. Les campagnes de sensibilisation aidant, 77 femmes ont été soignées et guéries de cette maladie dite de la honte en 2019. En 2020, l’avenue de la pandémie de la Covid-19 a ralenti les descentes dans les communautés. Cette activité a donc repris en juin et, jusqu’au 25 novembre 2020, elles sont déjà 48 femmes à avoir été soulagées. « Lorsque ces femmes arrivent ici, nous les rassemblons dans une salle et nous causons avec elles pour les rassurer. A la fin de leur traitement, nous causons avec elles également, ainsi qu’avec les membres de leurs familles voire leurs maris, pour leur dire qu’elles doivent s’abstenir de tout rapport sexuel pendant au moins six mois. Elles doivent aussi passer deux ans sans accoucher », précise Abel Mall Sambo, surveillant général de l’hôpital norvégien de Ngaoundéré. 

Francis Eboa (Jade)     

Interview.

« L’Unfpa prend entièrement à sa charge ces femmes malades »

Dr Pierre Laoussou, directeur de l’hôpital norvégien de Ngaoundéré

C’est quoi une fistule obstétricale ?

Comme son nom l’indique, la fistule obstétricale c’est une fistule liée à la grossesse et à l’accouchement. Nous pouvons donc la définir comme une voie de communication entre le vagin et les voies urinaires c’est-à-dire la vessie, l’urètre ; ou encore entre le vagin et le rectum, ou les deux à la fois. Cette voie de communication est généralement provoquée par un accouchement difficile, et survient dans la plupart des cas lors du premier accouchement des sujets jeunes généralement de petite taille, et, surtout les jeunes filles qui ont connu un mariage précoce. Cela concerne dans la plus grande partie, les jeunes mamans âgées entre 12 à 16 ans. Car les organes génitaux immatures sont soumis à la pression mécanique du travail lors de l’accouchement.

Comment se passe la prise en charge des patientes à l’hôpital norvégien ?

Depuis 2014, l’hôpital protestant de Ngaoundéré prend en charge les cas de fistules obstétricales grâce à l’appui de l’Unfpa qui est un fonds mondial pour la population. C’est ce programme qui supporte entièrement la prise en charge chirurgicale complète de la patiente, de son transport et de son garde malade en aller et retour, de leur nutrition ainsi que des médicaments de la malade. Le principal intervenant ici c’est Dr Danki qui est urologue. Avec toute l’équipe de l’hôpital protestant, les fistules obstétricales sont réparées chirurgicalement et ces femmes retrouvent leurs organes génitaux convenables, confortables avant de regagner leur famille dans de très bonnes conditions.

Quel est le coût d’une prise en charge d’une patiente ?

Il faut savoir que, dans la prise en charge actuellement avec l’appui de l’Unfpa, elle commence avec le transport de la patiente et son garde malade de leur localité de résidence jusqu’ici à l’hôpital et ce en aller et retour, car il faut le dire, ce sont des personnes qui viennent des zones bien reculées. Dans cette prise en charge, il y a aussi l’anesthésie, l’acte chirurgicale, la prise en charge nutritionnelle de la malade et son garde malade et le coût des médicaments. Si nous rassemblons un peu tout ça, le coût est un peu exorbitant, mais il faut savoir que, le prix du transport n’est pas le même chez tout le monde, car les patientes viennent d’un coin à l’autre. Mais s’il faut rester juste au niveau de l’acte médical, cela va tourner autour de 250 voire 300.000Fcfa. Mais je vous rappelle que tout cela est supporté par l’Unfpa et ajouter à cela l’alimentation pendant tout leur séjour ainsi que le transport en aller et retour de chaque patiente et son garde. Bref le malade ne débourse pas le moindre franc.

Du début de l’opération à la guérison complète, cela peut prendre combien de temps ?

Cela dépend du terrain. Il y a des cas qui sont simples qui prennent une semaine et d’autres peuvent aller au-delà et parfois jusqu’à 21 jours. Lorsque je dis que cela dépend du terrain c’est parce que la lésion provoquée par le travail difficile de l’accouchement peut embraser beaucoup de tissus et la durée du séjour de la patiente sera en fonction de l’état clinique du sujet.

Est-ce qu’après le traitement, il y a également une prise en charge psychologique des malades ? J

e voudrais d’abord revenir sur la condition psychologique dans laquelle se trouvent les femmes porteuses de fistules obstétricales avant leur prise en charge. Tel que nous avons défini la fistule obstétricale, nous comprenons tout de suite que, les excréments s’extériorisent par voie vaginale et de manière continue. Une telle femme est permanemment mouillée par les urine et dégage une forte odeur qui repousse tous ceux qui sont dans son environnement. Et généralement elle est victime d’un rejet au sein de la communauté c’est-à-dire par son mari, sa famille bref, elle ne peut pas être parmi les gens lorsqu’on se retrouve en groupe. Elle se met toujours à l’écart parce qu’elle dégage une forte odeur qui n’est pas toujours appréciée par la société. Imaginez donc une telle condition de vie pour cette femme. C’est un grand soulagement parce que, non seulement elle sort de la situation de l’inconfort dans lequel elle vivait, mais aussi elle est ré-acceptée dans la communauté. Lorsque nous abordons la prise en charge, le soutien du personnel soignant est très important, et il leur faut un soutien psychologique, ce qui n’est pas toujours disponible. Mais nous faisons des efforts au niveau de l’hôpital sans que tout le monde ne soit psychologue. A quelque degré, le personnel soignant fait des efforts pour supporter les patientes qui arrivent. Elles sont bien acceptées, bien accueillies et elles bénéficient d’une affection particulière de la part de l’équipe qui est finalement spécialisée dans ce genre de prise en charge. Cela contraste beaucoup avec la situation qu’elles vivaient en communauté. A la fin du traitement, elles retrouvent le sourire, elles rentrent épanouies et parfois plus rayonnantes parce qu’elles changent de physionomie.  

Propos recueillis par Francis Eboa (Jade)