Les misères de triplés nés de parents pauvres. Le Minsanté a oublié le triplé mort de négligence médicale

Les misères de triplés nés de parents pauvres. Le Minsanté a oublié le triplé mort de négligence médicale

Yaoundé. Le garçon est mort à la suite d’une négligence médicale à l’hôpital de district de Biyem-Assi. La famille dit avoir été oubliée malgré l’enquête annoncée depuis avril par le ministre de la Santé publique.

En mai 2021, l’annonce de l’arrivée prochaine de trois nouveau-nés dans la famille n’avait pas totalement réjoui les parents. « Lorsque l’échographie avait révélé que ma femme attendais des triplés, j’étais content, mais aussi inquiet à cause de ma situation financière précaire », se souvient le papa. Serges Sylvain Ngohmnang, 41 ans, est vendeur ambulant de glaces à Yaoundé. Suzanne Aband, âgée de 36 ans, sa compagne depuis 18 ans, garde la maison et leurs quatre premiers enfants. Le foyer survit grâce aux revenus de l’homme qui, au meilleur des jours, ramène 3 000 F.Cfa.

Certes la vie était dure, mais Suzanne et Serges restaient optimistes, surtout que 8 ans plus tôt, ils avaient pu gérer la venue au monde de leurs jumelles. Appelés à devenir parents une nouvelle fois, le couple ne s’attendait pas à vivre le cauchemar dans lequel ils sont encore plongés aujourd’hui. Les problèmes commencent au cinquième mois de la grossesse. Pour deux mois de loyers impayés, la famille est expulsée du studio qu’elle occupait depuis 12 ans. La maison, qui se résume à un assemblage de tôles et de planches, est située dans les environs du carrefour Biyem-Assi. Pour la famille, il fallait quitter ce palace, pour squatter une habitation située dans un bas-fond tout près. Les inondations avaient convaincu le propriétaire à déménager et à céder gracieusement son domicile de trois chambres à qui se sentait capable d’y vivre.

Sans domicile fixe

Cette bâtisse en planches, qui s’enfonce dans le sol au fil du temps, accueille donc Serges Sylvain Ngohmnang, son épouse enceinte et leurs quatre enfants. Ils y trouvent une femme qui y habite avec son enfant et son jeune frère. Les nouveaux arrivants occupent la seule chambre disponible et parquent une partie de leurs effets dans un coin au salon. Suzanne, qui n’est pas à son aise dans ce nouvel environnement, prévient son mari qu’elle n’y reviendra pas après son accouchement.

Pendant la grossesse, la maman est suivie dans une formation sanitaire privée confessionnelle au quartier Etoug-Ebe. Même si aucun problème n’est signalé, il est arrêté qu’elle n’accouchera pas ici. Les triplés (un garçon et deux filles) arrivent finalement au monde de manière prématurée le 1er février 2022 à la maternité de l’hôpital de district de Biyem-Assi. Les bébés passent 18 jours dans une couveuse avant d’être autorisés à quitter la formation sanitaire avec leur maman. Le séjour ici a été pénible pour les parents qui, en quelques jours, avaient épuisé les 200 000 F.Cfa à leur disposition. A l’hôpital, la mère et les enfants ont bénéficié de la générosité de plusieurs inconnus et d’un effacement de 50 000 F.Cfa sur l’ardoise à payer. C’est un cas d’indigence qui a été traité par le service social de la formation sanitaire publique.

Sortie de l’hôpital, Suzanne s’installe avec ses bébés chez sa tante Madeleine qui vit non loin du lycée de Biyem-Assi. Mais les nouveau-nés n’ont pas encore un mois lorsqu’ils tombent malades et sont ramenés à l’hôpital de district de Biyem-Assi. Leur hospitalisation dure deux semaines au service de néonatologie. Pendant l’internement, les parents se plaignent de la cherté du lait artificiel consommés par les enfants. La boite coûte 4 200 F.Cfa. Une infirmière leur conseille un autre lait moins cher. Après l’hospitalisation, les parents suivent le conseil. Mais le lait provoque la diarrhée chez les bébés qui retournent à l’hôpital au mois d’avril et sont à nouveau admis en néonatologie. « La pédiatre nous a reprochés d’avoir changé le lait des enfants, expliquant qu’une infirmière n’était pas qualifiée pour ce type de prescription », se souvient le père.

Les difficultés à nourrir convenablement les bébés interpelle l’Etat du Cameroun sur la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant. L’article 14, en ses alinéas 2c et 2d, demande aux Etats de prendre les mesures pour assurer la fourniture d’une alimentation adéquate et lutter contre la maladie et la malnutrition dans le cadre des soins de santé primaires.

Il n’empêche que le drame s’est produit durant le troisième séjour des bébés à l’hôpital de district de Biyem-Assi. Selon le récit des parents et de plusieurs membres du personnel médical, une infirmière a oublié un garrot au bras gauche d’un des bébés. La soignante avait prévu de placer une perfusion au niveau du membre du garçon de 2 mois, mais s’était finalement résolue à le faire sur une veine de la tête. Le soin a été prodigué vers 15h ; et c’est à 8h le lendemain que le garrot a été découvert sous les vêtements du nouveau-né. « L’enfant avait beaucoup pleuré durant la nuit ; ce qui m’avait inquiétée. Mais j’avais un accès limité à la salle d’hospitalisation et je ne pouvais pas imaginer une négligence aussi grave », tempête encore la mère, des mois plus tard. Le comble, selon elle, c’est d’avoir été reprise par une infirmière qui lui reprochait de n’avoir pas vu le garrot suffisamment tôt.

Négociations

Il est en effet trop tard ce 13 avril. L’enfant est agonisant, avec un bras ayant pris des proportions inquiétantes de l’aveu même du staff médical. Les vidéos datant de l’époque montrent un nouveau-né gémissant. Informé de la situation, le directeur de l’hôpital, le chirurgien Daniel Ekoua, convoque une réunion dans son bureau au cours de laquelle il convainc les parents d’amputer le bras malade. « J’avais d’abord refusé catégoriquement. Mais le directeur m’a supplié et a promis de prendre tout en charge, même lorsque l’enfant grandira », se souvient Serges Sylvain. Mais alors qu’il vient d’accepter l’amputation, la mauvaise nouvelle tombe : l’enfant a rendu l’âme.

Les circonstances de la mort de ce bébé constituent une violation de la panoplie de textes internationaux qui protègent l’enfant. Il s’agit notamment de la Déclaration des droits de l’enfant de l’Onu, de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, de la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant, de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, ainsi que des statuts et des instruments pertinents des institutions spécialisées et des organisations internationales qui se préoccupent du bien-être de l’enfant, à l’instar de l’Unicef. Même des instruments juridiques plus généraux protègent l’enfant : la Déclaration universelle des droits de l’Homme, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ou encore la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples.

Tous ces textes ont un point en comment : accorder une protection spéciale à l’enfant dont la vie et le bien-être sont sacrés. A titre d’exemple, la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant reconnait en son préambule que cette catégorie a besoin de « soins particuliers ». L’article 5 prescrit que le droit à la vie est un droit « imprescriptible » pour l’enfant. Au terme de l’article 14, les Etats se sont ainsi engagés à prendre les mesures aux fins de réduire la mortalité infantile, d’assurer l’assistance médicale et des soins de santé nécessaires à tous les enfants, en mettant l’accent sur le développement des soins de santé primaires.

Pourtant, les parents disent avoir été surpris de voir le directeur quitter l’hôpital après le décès de leur bébé. Ils ont alors fait appel à Me Rose Ngo Mboua, avocate au barreau du Cameroun. « Lorsque je suis arrivée à l’hôpital, le directeur était absent. Informé de ma présence, il est revenu », affirme Me Ngo Mboua. Au terme des tractions, le directeur verse 150 000 F.Cfa pour les obsèques du bébé ; et le père s’en va avec la dépouille. Mais lorsqu’il revient du village quatre jours plus tard, Serges Sylvain ne comprend pas pourquoi l’hôpital conditionne la sortie de sa compagne par le payement des factures accumulées. « Je suis allé voir le directeur qui m’a dit que cette affaire ne le concerne plus », se souvient le père. Le couple refuse alors de se soumettre et menace. La mère et les deux bébés rescapés sont finalement autorisés à sortir.

Ministre de la Santé publique

A ce jour, la famille dit n’avoir jamais été approchée ni par l’hôpital, ni par le ministère de la Santé publique, ni par la Justice camerounaise, bref par personne. Pourtant, de source sure, le directeur de l’hôpital avait reçu un appel téléphonique d’une autorité judiciaire d’un tribunal de Yaoundé à propos de cette affaire qui faisait déjà grand bruit sur les réseaux sociaux. Dans un tweet le 15 avril, le ministre de la Santé publique, Manaouda Malachie, déclarait : « Les réseaux sociaux font écho d’un incident survenu cette semaine à l’hôpital de Biyem-Assi. La victime est âgée de 3 mois. J’ai instruit mes services compétents de faire toute la lumière sur cette affaire. Nous tirerons les conséquences. J’exprime toute ma proximité à la famille. »

Une mission d’enquête du ministère de la Santé publique a séjourné à l’hôpital de district de Biyem Assi. Les parents du bébé décédé disent n’avoir jamais été rencontrées. Les démarches menées pour connaître les conclusions de la mission d’enquête ont été infructueuses. Le ministre Manaouda Malachie n’a jamais répondu aux questions à lui adressées via son compte Twitter depuis le 13 juin. Le courrier déposé dans ses services le 20 juin est resté lettre morte. Saisi, le chef de la cellule de la communication du ministère de la Santé publique, Clavère Nken, n’a pas pu convaincre le directeur de l’hôpital à parler. Rencontré, le Dr Daniel Ekoua a confessé la négligence de l’infirmière. Mais il a ensuite affirmé que le bébé était condamné à mourir car, souffrant d’une infection grave au même titre que ses deux sœurs.

Pourtant, les parents affirment que les filles se portent bien et n’ont plus été à l’hôpital pour le moindre mal. « Elles se trouvent actuellement à Bamenda avec leur mère », déclare le père. La thèse du sort scellé du bébé est battue en brèche par Me Ngo Mboua. « Nul n’est Dieu pour dire qu’un être humain est condamné à mourir. Il y a une évidence : ce beau garçon n’a pas été tué par une quelconque infection ; il est mort à la suite d’une négligence médicale », conclut l’avocate. Faut-il encore le rappeler, la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant, déclare en son l’article 5 que le droit à la vie est un droit « imprescriptible » pour l’enfant.

Depuis la mort du bébé, le ministère de la Santé publique n’est pas la seule administration publique qui brille par son silence. Le mutisme est aussi observé au ministère des Affaires sociales et au ministère de la Promotion de la femme et de la famille. Pourtant, la constitution du Cameroun, en son préambule, affirme : « la nation protège et encourage la famille, base naturelle de la société humaine. Elle protège la femme, les jeunes, les personnes âgées et les personnes handicapées. » La loi fondamentale marque surtout son « attachement » à la Déclaration universelle des droits de l’Homme, à la Charte des Nations unies, à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, et à toutes les conventions internationales y relatives et dûment ratifiées par le Cameroun.

Assongmo Necdem, avec Jade