Equinoxe Télévision muselée par un régulateur partisan

Equinoxe Télévision muselée par un régulateur partisan

Dérives. Depuis l’échec de la première tentative d’autorégulation de leur profession, les journalistes se plaignent des décisions « à tête chercheuse » du régulateur, qui semble protéger les médias à la solde du gouvernement. La suspension de deux journalistes d’une chaîne de télévision privée, le 1er avril, en est une illustration. 

Depuis le 1er avril 2022, les journalistes Séverin Tchounkeu et Cédrick Noufele sont privés de leur droit d’exercice de leur profession. Leur suspension est la conséquence d’une décision rendue publique par le Conseil national de la Communication (Cnc), l’organe public en charge de la régulation de la communication sociale au Cameroun, à l’issue d’une assemblée générale ordinaire tenue le même jour. Une décision dénoncée par leurs confrères camerounais et par les organisations de la société civile, des acteurs politiques et l’association internationale Reporters sans frontières (Rsf). Le Cnc accuse la chaîne privée d’avoir relayé lors d’un débat politique télévisé, des propos belliqueux d’un des panélistes demandant aux parents d’élèves de se joindre à un mouvement d’humeur initié par les enseignants pour exiger l’amélioration de leurs conditions de travail. Une accusation que réfutent les concernés, respectivement président directeur général et rédacteur en chef d’Equinoxe Télévision, une chaîne privée émettant depuis Douala. Ils déclarent avoir donné la parole aux panélistes de plusieurs sensibilités politiques.

Il est reproché au rédacteur en chef d’Equinoxe TV, présentateur de l’émission de débat « Droit de réponse », de n’avoir pas encadré ses invités sur le plateau, dérogeant ainsi à la déontologie. Un « manquement » qui vaut à notre confrère son interdiction d’exercice du métier pour une durée d’un mois, et au patron de la chaîne, sa déchéance de sa fonction de directeur de publication pour la même durée à compter du 1eravril. Ils écopent de la même sanction, Equinoxe TV ayant en outre diffusé au cours d’un journal télévisé un extrait d’une vidéo amateur d’un sous-préfet menaçant les enseignants grévistes dans sa circonscription. En plus de ces sanctions, le directeur Séverin Tchounkeu est déchu de sa qualité de journaliste pour avoir, lors d’un autre journal télévisé sur ETV, dénoncé les menaces du gouvernement à l’encontre de son média regardé par un large public camerounais pour sa ligne éditoriale : « Au-delà des faits, nous rendons compte ». « Droit de réponse », l’une des émissions phares d’Equinoxe TV, est aussi interdite de diffusion pour la même durée. Les téléspectateurs en sont sevrés depuis le dimanche 03 avril. 

« Deux poids, deux mesures »

Au Cameroun comme à l’étranger, la décision du Cnc a soulevé une avalanche de critiques, comme celles qui avaient déjà émergé de part et d’autre à la mi-mars dernier, lorsque l’instance de régulation avait rappelé à l’ordre les mêmes responsables d’ETV, dans une autre déclaration publique. Dans une vidéo publiée sur la plateforme YouTube, Rémy Ngono, un journaliste camerounais basé en France, s’est dit étonné de la célérité avec laquelle le Cnc s’est auto saisi du cas Equinoxe Télévision. Ce alors même que de nombreux autres médias favorables au pouvoir de Yaoundé ont à plusieurs reprises violé les règles éthiques sans être inquiétés par le régulateur. Notre confrère cite en exemple des propos extrémistes tenus plusieurs fois par des panélistes sur une autre chaîne privée basée à Yaoundé, appelant à « dératiser » les régions anglophones du pays en proie depuis cinq ans à de violents conflits armés, ou proférant la haine contre la tribu Bamiléké, dont le seul tort est d’avoir soutenu la candidature d’un de ses ressortissants à l’élection présidentielle de 2018.  

Un argument repris par Jean-Michel Nintcheu, député du Social Democratic Front (Sdf), qui parle d’une « sanction à tête chercheuse ». « Au demeurant, on reproche injustement à Équinoxe télévision des faits qu’on n’a jamais opposés à certains médias bien connus pour leur propension à faire l’apologie du tribalisme, du mensonge permanent et du crime, actes répréhensibles de par la loi et potentiellement susceptibles de déclencher des déflagrations sociales majeures. Le Cnc est resté muet quand une “influenceuse” a déclaré sur la Crtv, média à capitaux publics, ce qui suit : “Les Bamilekés sont les plus gros voleurs du Cameroun. Les premiers voleurs viennent de la région de l’Ouest. Les plus grandes prostituées sont les Bamilekés”. Après la présidentielle de 2018, les faux observateurs de Transparency International ont été présentés sur la Crtv sans que le Cnc ne daigne s’autosaisir comme il prétend l’avoir fait pour Équinoxe télévision. De même que cet organe n’a jamais convoqué qui que ce soit du côté de la Crtv qui a pourtant proclamé l’augmentation des salaires des enseignants en pleine crise du mouvement Ots (On a trop supporté). Information fausse qui était pourtant de nature à radicaliser davantage le mouvement. », dénonce l’opposant.

Encourager l’autorégulation

Le député s’exprimait dans les colonnes du quotidien camerounais Le Jour, parution n° 3642 du lundi 04 avril 2022. Tout comme le journaliste Xavier Messe, qui dénonce l’arbitrage du Cnc : « Il se passe de nombreuses irrégularités, même dans les médias les plus crédibles, sans que le régulateur bronche un mot. Là encore, sa crédibilité et son impartialité sont mises à rude épreuve. Dans son fonctionnement arbitral, le Cnc a installé un enchevêtrement non réglementaire, qui initie des sanctions parfois injustifiables contre les médias. Là encore, la crédibilité du régulateur est douteuse. » Pour Charles Ngah Nforgang du Syndicat national des journalistes du Cameroun (Snjc), si le rôle du Cnc est de veiller à ce que les médias respectent la loi régissant leur activité, selon le décret de 1990 créant cette instance, et la loi du 20 avril 2015 régissant l’activité audiovisuelle au Cameroun, elle a cependant outrepassé ses missions en grignotant dans la sphère de l’autorégulation et du respect du code déontologique dévolus aux médias eux-mêmes.  

Par exemple, c’est à la corporation qu’incombe l’interpellation d’un journaliste sur le manque de recadrage d’une émission de débat, à en croire l’enseignant de journalisme. Cet amalgame découle de l’absence d’une instance d’autorégulation pourtant souhaitée par la corporation. « Les journalistes ont voulu mettre en place leur organe d’autorégulation, mais l’Etat avait tout mis en œuvre pour le caporaliser et le phagocyter en le finançant en catimini et en pesant pour la nomination à la tête de cette instance d’un journaliste de Cameroon Tribune, le journal gouvernemental. C’est l’Etat qui avait suscité l’initiative mais ça n’avait pas marché parce que c’était trop flagrant », déplore Charles Nforgang.

Or, le principe 17 (les organes de régulation de la radiodiffusion, des télécoms et de l’internet) de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples portant déclaration de principes sur la liberté et l’accès à l’information en Afrique, stipule : « Les médias encouragent l’autorégulation des médias par des voies impartiales, diligentes et peu coûteuses. » Contacté par téléphone deux fois de suite (les 15 et 19 avril 2022) pour donner son avis sur les accusations formulées plus haut, le président du Cnc, Joe Chebonkeng nous a demandé à chaque fois de le rappeler « dans une heure ». Ce que nous avons fait, sans suite. Nous lui avons envoyé par la suite un questionnaire via WhatsApp, le 20 avril, et il n’a toujours pas répondu à notre préoccupation.

Théodore Tchopa (Jade)