Crise du Noso. Un universitaire et deux étudiants tués à Bamenda  et Buea

Crise du Noso. Un universitaire et deux étudiants tués à Bamenda et Buea

Forces gouvernementales et groupes armés dits sécessionnistes perpétuent chaque jour des crimes contre les habitants de ces deux régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. L’impunité y règne. Les exigences de la Convention de Genève relative à la protection des personnes ne sont pas respectées.  AfriqueXXI, une organisation spécialisée en questions civiles, sécuritaires et géopolitiques en temps de guerre ,  parle de plus de 6000 morts.

Le Professeur Chiabi Emmanuel n’est plus. Ses étudiants et ses collègues de l’université de Bamenda sont inconsolables. L’enseignant d’Histoire  a été assassiné le jeudi 16 mars 2023 à Bamenda. Il a été criblé de balles devant sa maison par des individus non identifiés. Au sein de l’opinion, on soupçonne que ce sont des membres des groupes séparatistes armés localement appelés « Ambaboys ».  Akere Muna, ancien bâtonnier de l’ordre des avocats du Cameroun et  homme politique se dit chagriné de cette disparition « d’un gentilhomme et universitaire irréprochable. » « Je me fiche de ce pour quoi vous vous battez ou même qui vous prétendez protéger ; si vous ne respectez pas la vie humaine, vous êtes terroriste », a-t-il interpellé les auteurs de  ce crime.

Les sécessionnistes démentent

 La densité et la vitalité des travaux du Pr Emmanuel Chiabi font partie de l’héritage qu’il laisse à la communauté universitaire nationale et internationale. « The Making of Modern Cameroon: A History of Substate Nationalism and Disparate Union, 1914–1961” est un ouvrage qu’il a produit.  Il a été édité en  1997   par Lanham, MD: University Press of America. Capo Daniel, le chef d’un groupe sécessionniste d’ « Ambazonie », dément l’information selon laquelle ce serait l’un des leurs qui a assassiné le professeur d’université. Ils n’appartiennent pas à l’”Ambazonian Defense Forces”. Selon nos informations, l’enseignant d’Histoire à l’université de Bamenda avait fui son village pour se réfugier dans le Chef lieu de la région, Bamenda.

Un jour avant la mort de l’universitaire, c’est l’université de Buea, chef-lieu de l’autre région anglophone du Cameroun, qui a été frappée par le deuil. Deux civils présentés comme des étudiants  ont été froidement abattus le 15 mars et leurs corps exposés dans la rue à Buea, capitale régionale du Sud-Ouest. D’après des sources concordantes, les deux civils dont Ngule Linus, étudiant à la faculté des sciences juridiques et politiques de l’université de Buea, ont été abattus par un soldat du Bataillon d’intervention rapide (BIR), une unité d’élite de l’armée camerounaise. Moja Moja est le nom du militaire en question. Chef de village dans le Sud-Ouest, il est accusé d’avoir  entrepris depuis des années une chasse contre des présumés membres des groupes séparatistes armés  qui, selon lui et le gouvernement camerounais, sèment la terreur dans le Sud-Ouest.

Les organisations de la société civile qui opèrent dans les deux régions anglophones du Cameroun, à l’instar de  Centre for Human Rights and Democracy in Africa(Ndlr : Centre pour les droits humains et la démocratie en Afrique), pilotée par Me Abgbor Bala Nkongho, sont montées au créneau pour dénoncer ces tueries. Pour les défenseurs des droits humains, spécialistes du droit international des droits de l’homme comme Hilaire Kamga, la responsabilité de l’Etat du Cameroun peut être engagée pour tous les crimes commis contre les civils dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest où l’armée gouvernementale et les groupes séparatistes armés se battent depuis sept ans déjà. Ce spécialiste et militant des droits humains ne cessent, à travers ses prises de position sur les plateaux de télévision et sur les autres supports médiatiques, de tenir un discours pour sensibiliser l’Etat du Cameroun et les groupes séparatistes armés  afin qu’ils respectent les exigences de la Convention de Genève en matière  de protection des civils lors des conflits armés non internationaux. Il sensibilise aussi les proches des victimes sur les possibilités de recours juridictionnels, en droit interne comme en droit international des droits de l’Homme, qu’ils peuvent exercer contre les présumés auteurs des crimes contre les civils en temps de guerre.

Plus de 6000 civils tués

En l’espèce, il est constant que la   Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre est constamment violée par les autorités camerounaises et les groupes séparatistes armés. Selon l’article  3  de ce texte relatif au droit de la guerre, « en cas de conflit armé ne présentant pas un caractère international et surgissant sur le territoire de l’une des Hautes Parties contractantes, chacune des Parties au conflit sera tenue d’appliquer au moins les dispositions suivantes:

1) Les personnes qui ne participent pas directement aux hostilités, y compris les membres de forces armées qui ont déposé les armes et les personnes qui ont été mises hors de combat par maladie, blessure, détention, ou pour toute autre cause, seront, en toutes circonstances, traitées avec humanité, sans aucune distinction de caractère défavorable basée sur la race, la couleur, la religion ou la croyance, le sexe, la naissance ou la fortune, ou tout autre critère analogue. »

A cet effet, exige cette convention, sont et demeurent prohibés, en tout temps et en tout lieu, à l’égard des personnes mentionnées ci-dessus: les atteintes portées à la vie et à l’intégrité corporelle, notamment le meurtre sous toutes ses formes, les mutilations, les traitements cruels, tortures et supplices.  Les prises d’otages et  les atteintes à la dignité des personnes, notamment les traitements humiliants et dégradants tout comme les   condamnations prononcées et les exécutions effectuées sans un jugement préalable, rendu par un tribunal régulièrement constitué, assorti des garanties judiciaires reconnues comme indispensables par les peuples civilisés, sont prohibés.  Reste que le gouvernement camerounais n’a jamais considéré les groupes séparatistes armés comme des membres d’une force politique. Pour lui, ce sont des « terroristes » à qui il faut appliquer les dispositions de la loi  antiterroriste de 2014.

Consulté par Journalistes en Afriques pour le développement(Jade), le site d’information  de AfriqueXXI, une organisation spécialisée en questions sécuritaires et de géopolitique parle de plus de 6000 morts.  Ce média ((https://afriquexxi.info/Cameroun-anglophone-Une-guerre-passee-sous-silence),  publie que  « pour l’instant, l’Union africaine (UA) a échoué à en débattre au sein de ses instances. La plupart des chefs d’État du continent considèrent que cette crise relève des affaires internes au Cameroun et mettent en avant le sacro-saint « respect de la souveraineté des États », une notion chère à de nombreux présidents en proie eux aussi à des conflits internes. » Suivant cette tribune numérique,  l’UA s’est contentée d’encourager les parties prenantes à cesser leurs hostilités et à trouver une solution politique négociée.

« En tant que membre du Conseil pour la paix et la sécurité (CPS), le Cameroun a tout fait pour que la crise du NOSO ne figure pas à l’ordre du jour de cette instance. Depuis mai 2022, Yaoundé préside le CPS. Une position stratégique qui lui permet de mettre en avant le fait qu’elle mène dans le NOSO une « lutte contre le terrorisme » », lit-on en consultant ce site. Le ministre de la Défense, à travers le   colonel Cyrille Atonfack Nguemo, chef de division de la communication, assure maîtriser le terrain et clame un retour progressif à la paix dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-ouest. Mais l’enregistrement, au fil des jours,  des tueries des civils comme ceux des militaires ou membres présumés des groupes séparatistes armés ne cessent de s’amplifier et d’inquiéter…

Guy Modeste DZUDIE(Jade)