Atteinte à la liberté d’expression. Le quotidien « Le Messager » sous la pression du Secrétariat à la Défense

Atteinte à la liberté d’expression. Le quotidien « Le Messager » sous la pression du Secrétariat à la Défense

Poursuivi pour diffamation suite à une plainte portée par Elie Nwandjo Nsangué, sous-préfet de Yaoundé 7eme, le Directeur de la publication du quotidien « Le Messager » a été entendu, mardi 17 janvier 2023, durant huit heures au Service central de recherches judiciaires(Scrj) de la gendarmerie nationale à Yaoundé, puis jeté le en cellule le lendemain matin. Avant d’être libéré vers 15 heures de l’après-midi suite à une intervention du Procureur de la République, M. Thiam. 

« C’est une affaire sordide ! Nous sommes victimes d’une cabale orchestrée par le sous-préfet de l’arrondissement de Yaoundé 7eme soutenu par un haut dignitaire du régime. Il faut observer la célérité avec laquelle cette affaire a été traitée par les services judiciaires du secréterait d’Etat à la défense (Sed)  chargé de la gendarmerie nationale. Des personnes mécontentes par notre traitement des affaires qui exposent leur mauvaise gestion de la fortune publique ont voulu passer par cette affaire pour tordre le coup à notre Directeur de Publication, Jean François Channon. Ils sont nombreux ceux qui veulent nous faire la peau à cause des articles publiés dans Le Messager et mettant à nu leurs pratiques maffieuses.»  Rédacteur en chef du quotidien Le Messager à Douala, Blaise Pascal Dassié dénonce l’acharnement contre Jean François Channon. Directeur de Publication du journal fondé par feu Puis Njawé.

Il lui est reproché d’avoir publiéle 20 septembre 2023  un droit de réponse relatif à un litige foncier sur l’île de Jebale, dans le département du Wouri. Ce droit de réponse fait suite à des articles publiés les 13 et 15 septembre 2022. Au lendemain de ces publications, la rédaction a reçu un droit de réponse d’un collectif des chefs de Jebale.  Dans ledit droit de réponse, les auteurs ont mis en cause une élite de Jebale actuellement aux responsabilités administratives comme sous-préfet de Yaoundé 7. Ce dernier, selon nos sources, a porté plainte pour diffamation au Service central de recherches judiciaires de la gendarmerie nationale à Yaoundé contre le patron du  journal Le Messager.

Malade, il est interrogé durant huit heures

Incarcéré au parquet le matin du 18 janvier 2023, Jean-François Channon a été libéré plus tard à la demande du procureur du tribunal de première instance de Yaoundé. «Je me suis retrouvé en cellule avec des bandits de grand chemin qui ne m’ont pas violenté», rassure-t-il. Il ajoute : «Je tiens à remercier le procureur qui m’a donné trop d’égards. Il s’est excusé pour tout ce que j’ai subi. Il a indiqué qu’il n’a pas ordonné mon interpellation et a donné des instructions pour que je sois libéré ».

Malade depuis quelque temps, Jean François Channon a raté ses soins le mardi 17 janvier 2023. Il a été victime d’un accident vasculaire cérébral en décembre 2022. Malgré ce handicap, le patron du quotidien dit avoir été entendu durant des heures par « un enquêteur aux attitudes rudes». Son état de santé critique lui a permis d’éviter une garde à vue depuis mardi  soir pour être conduit chez le procureur de la République le mercredi, 18 janvier. J.F. Channon doit repasser ce matin à 8h pour être présenté au procureur de la République qui décidera de son sort. Selon la publication faite par le concerné hier au sortir du Service central de recherches judiciaires (Scrj), Jean André Momo, collaborateur du Dp de « Le Messager » et chef d’agence, s’est porté garant de sa présentation devant le procureur.

Par ailleurs, Jean François Channon se réserve le droit d’intenter une action en justice. « Je vais voir si je peux construire une suite judiciaire par rapport à des éléments de la gendarmerie qui m’ont un peu malmené pour qu’ils ne soient plus portés à le faire », envisage le Dp de Le Messager. Une option de poursuite encouragée par les   défenseurs des droits humains à l’instar de Charlie Tchikanda, Directeur exécutif de la Ligue des droits et libertés. Me Serge Fohom, avocat au barreau du Cameroun, souligne que lorsqu’un usager est victime de menaces dans un poste de gendarmerie ou de commissariat, il peut se plaindre chez le Procureur général ou au ministre de la Justice à Yaoundé. Une plainte au tribunal militaire pourrait aussi être envisagée lorsque des abus ont été posés par des gendarmes. Au cas où les mécanismes internes sont inopérants ou inefficaces, la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples pourrait être saisie.

Dépénaliser les délits de presse

Contactée  par Journalistes en Afrique pour le développement (Jade),      Christelle Yimga, membre du  Syndicat national des journalistes du Cameroun (Snjc), estime qu’elle est « perdue » dans le cadre de cette affaire. Surtout que pour certains dirigeants de cette organisation, il faut dépénaliser les délits de presse au Cameroun. Parce que  l’Etat du Cameroun ne semble pas prendre en compte l’importance cruciale de la liberté d’expression en  tant que droit humain  individuel, pierre angulaire de la démocratie et aussi en tant que moyen pour garantir le  respect de tous les droits humains et libertés fondamentales de l’homme. Egalement, l’article 9 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples n’est pas respecté par l’Etat camerounais. Le gouvernement de Yaoundé semble ainsi naviguer à contre courant de la Déclaration de Principes sur la Liberté d’Expression en Afrique. Car le Principe XIII porte sur les mesures pénales et dispose : « 

1. Les Etats doivent revoir toutes les restrictions pénales sur le contenu en vue de s’assurer qu’elles servent un intérêt légitime dans une société démocratique.»Le rapport de l’UNESCO(Oraganisation des nations unies pour l’éducation la science et la culture, Ndlr) sur les tendances mondiales en matière de liberté d’expression 2021/2022 met en évidence ces défis. Ainsi, les lois contre la diffamation, la cyberdiffamation et la diffusion de « fausses informations » sont parfois utilisées comme un moyen de limiter la liberté d’expression, en instaurant un environnement néfaste pour les journalistes. Selon le site de cette organisation (https://www.unesco.org/), l’Organisation condamne et contrôle les suites judiciaires données à chaque meurtre de journaliste. Selon le site de cette organisation, en 2022 les meurtres de journalistes ont augmenté de 50 %, la moitié d’entre eux ayant été commise hors du cadre professionnel.

Quatre-vingt-six journalistes et professionnels des médias ont été tués dans le monde en 2022 – soit un tous les quatre jours, selon les données de l’UNESCO, ce qui souligne les graves risques que continuent de courir les journalistes dans l’exercice de leur fonction et leur grande vulnérabilité. Pour, Audrey Azoulay, Directrice générale de l’UNESCO l‘impunité reste très élevée« Si des progrès ont été accomplis au cours des cinq dernières années, le taux d’impunité pour les meurtres de journalistes reste particulièrement élevé (86 %), ce qui entrave le travail des journalistes et met en péril la liberté d’expression à travers le monde. Cela prouve que la lutte contre l’impunité reste un engagement urgent pour lequel la coopération internationale doit être davantage mobilisée. Outre les meurtres, les journalistes continuent d’être menacés par de multiples formes de violence, telles que les enlèvements, les détentions arbitraires, le harcèlement juridique ou la violence numérique, en particulier à l’encontre des femmes journalistes », peut-on lire sur le site de l’UNESCO.

Guy Modeste DZUDIE(Jade)