Enquête sur le meurtre de Martinez Zogo. La valse des juges d’instruction

Enquête sur le meurtre de Martinez Zogo. La valse des juges d’instruction

11 mois après le décès brutal du journaliste, l’affaire piétine devant le tribunal militaire. On en est à la nomination d’un troisième juge d’instruction. Une attitude qui compromet l’équité, la transparence et l’indépendance de la procédure.

Le 18 décembre 2023, le président du tribunal militaire de Yaoundé, le colonel Misse Njone Jacques Baudouin, a signé une ordonnance qui dessaisit le lieutenant-colonel Sikati II Kamwo Florent Aimé du dossier lié à l’assassinat de Martinez Zogo, chef de chaîne de la radio Amplitude Fm. Ce lieutenant-colonel a été désigné le 6 mars 2023 comme juge d’instruction devant conduire devant le tribunal militaire l’affaire de l’assassinat du journaliste. Le lieutenant-colonel Sikati II Kamwo a été remplacé par Nzié Pierrot, lui aussi lieutenant-colonel. Ce dernier a été nommé le 13 décembre dernier au poste de vice-président du tribunal militaire de Yaoundé.

Dans l’ordonnance qui dessaisit le juge d’instruction Sikati II Kamwo Florent Aimé, quelques « irrégularités » sont mentionnées pour justifier ce remplacement du juge d’instruction. Il ressort de l’ordonnance que le commissaire du gouvernement (ministère public), a avancé plusieurs arguments, de nature à perturber la sérénité de la procédure judiciaire. Il s’agit notamment du document signé par le lieutenant-colonel Sikati II Kamwo, dans lequel il ordonnait la mise en liberté des accusés Jean Pierre Amougou Belinga, Pdg du Groupe l’Anecdote et Maxime Eko Eko, responsable de la Direction générale de la Recherche Extérieure au moment des faits.

 Ces deux accusés ont été inculpés le 4 mars 2023 de complicité de torture ayant entraîné la mort du chef de chaîne de la radio Amplitude qui avait été enlevé le 17 janvier à Yaoundé, avant d’être retrouvé mort le 22 janvier dans un terrain vague dans une banlieue de Yaoundé. Quelques heures après la publication sur les réseaux sociaux de ce document, le juge Sikati en avait signé un autre pour indiquer que le premier document en circulation était faux : « Il y a lieu de relever que la correspondance en date du 1 décembre 2023 que ce juge d’instruction et ayant pour objet la « circulation d’une ordonnance », est de nature à créer un doute dans les esprits des parties concernées par cette affaire. Que cette situation est susceptible d’entraver la sérénité qui doit

entourer le processus de distribution de la justice. Qu’il convient par conséquent et dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, de le dessaisir au profit d’un autre juge d’instruction », peut-on lire dans l’ordonnance signée le 18 décembre par le président du tribunal militaire de Yaoundé.

Violation du secret de l’enquête

Une attitude, selon certains observateurs, qui viole le secret de l’enquête et de l’instruction. Le secret de l’enquête et de l’instruction permet de garantir le bon déroulement de l’enquête et de l’instruction, de garantir la protection des preuves et des témoignages, de protéger les personnes concernées par la procédure afin de garantir leurs droits fondamentaux (vie privée et présomption d’innocence) de garantir l’impartialité des acteurs qui concourent à la chaîne pénale en les isolant de la pression médiatique ou de l’opinion publique. » D’où la violation de l’article 10 de la Déclaration universelle des droits de l’homme qui stipule : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et impartial, qui décidera soit de ses droits et obligations, soit du bien fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ».

Me Jacques Mbuny est l’avocat de Justin Danwe, le directeur des Opérations de la Dgre. Ce lieutenant-colonel est présenté comme responsable du commando ayant procédé à l’enlèvement du journaliste. Son avocat Jacques Mbuny affirme que le lieutenant-colonel Nzié Pierrot est le troisième juge à instruire l’affaire Martinez Zogo devant le tribunal militaire. : « L’ordonnance qui nomme un autre juge d’instruction intervient au moment où toutes les parties impliquées dans l’affaire ont déjà été entendues », précise l’avocat. On a notifié le changement du juge d’instruction aux différentes parties mais nous ne savons pas encore si l’instruction va reprendre à zéro ou bien si le nouveau juge va demander aux différentes parties de confirmer leurs déclarations faites devant le premier juge », ajoute Me Jacques Mbuny. L’avocat estime que les multiples changements des juges d’instruction dans l’affaire Martinez Zogo ont un lien avec  la complexité de ce dossier qui implique plusieurs responsables de l’appareil sécuritaire.

« Ce contrôle de l’exécutif sur le judiciaire peut porter atteinte à l’impartialité de la procédure et nuire à la manifestation de la vérité, souligne l’avocat. Entretemps, les avocats d’Amougou Belinga et de Maxime Eko Eko se plaignent des nombreuses violations dont leurs clients font l’objet. Parmi ces violations, ils relèvent le fait que la copie de l’enquête préliminaire ne leur a jamais été présentée. En plus ils dénoncent le fait que leurs clients ne bénéficient pas de la présomption d’innocence.

Prince Nguimbous (Jade)