Non-respect du droit à l’éducation. La pseudo gratuité de l’école primaire au Cameroun

Non-respect du droit à l’éducation. La pseudo gratuité de l’école primaire au Cameroun

Les frais de l’Association des parents d’élèves (Ape) qui  oscillent entre 2000 et 12.000 FCFA plombent la gratuité de l‘école primaire décrétée depuis février 2001 par le Président de la République. Harcelés financièrement par les directeurs d’écoles, les parents dénoncent verbalement, mais, ils renoncent à se plaindre au tribunal à cause des frais de procédure.

Au Cameroun, le ministère de l’Education de base  réaffirme, à chaque rentrée scolaire, le caractère obligatoire et gratuit de l’école primaire pour tous. Sur le terrain, la réalité est toute autre : l'inscription dans un établissement public est bel et
bien subordonnée au paiement des frais d'Ape. Thibaut Koagne, père de deux enfants, a quitté la ville de Douala pour rejoindre celle de Bafoussam suite à son licenciement d’une société basée dans  la capitale économique. Trois semaines après le début des enseignements pour le compte de l’année scalaire 2023/2024, il n’a pas encore inscrit ses enfants, faute d’argent. Il se pose mille et une questions sur la façon de procéder. Surtout qu’il semble ignoré que, selon un décret présidentiel du 19 février 2001, «les élèves des écoles primaires publiques sont exemptés des contributions annuelles exigibles.»  Alors que 22 ans après cette mesure le tableau noir de l’école primaire publique est plus foncé au Cameroun.

Les disparités en matière de scolarisation sont considérables

 L’un des éléments saillants de cette  déconfiture de l’école  est l’absence d’infrastructures  dans certaines régions. Celles qui existent sont dans un état de vétusté et de délabrement avancé. Quant aux effectifs ! On compte une centaine d’enfants dans une salle classe, comme à l’école publique de Djeleng I à Bafoussam,  entassés les uns sur les autres. Certains assis à même le sol, d’autres sur des troncs d’arbres sous un soleil accablant, exposés aux trombes d’eau quand il pleut, livrés à la merci de reptiles de tout genre. Les enfants des parents démunis ne vont pas à l’école. Ces enfants non scolarisés représentent, selon le Document de Stratégie du Secteur de l’Education et de la Formation,   environ 8% d’une classe d’âge. Les disparités en matière de scolarisation sont considérables : selon le genre, d’abord, mais davantage entre la localisation urbaine et rurale et, surtout quand on tient compte de la richesse des parents et des  régions.

La consommation des ressources publiques est faite d’une manière que l’on doit qualifier d’inéquitable puisqu’elle profite systématiquement à certains élèves dont les caractéristiques sont : masculin, urbain, hors régions septentrionales et dont les parents appartiennent au quintile (20%) supérieur de richesse. Le financement de l’éducation par les parents est par ailleurs élevé et il pallie le recul relatif du financement public, en particulier pour le financement des maîtres dans le primaire (18% des enseignants de ce cycle) et les vacataires (38% des enseignants du secondaire général et public). La recherche d’une plus grande équité passe par le financement par l’Etat de ces enseignants.  On peut considérer que l’accès au cycle primaire est plus ou moins universel pour toutes les catégories de la population dans toutes les régions, à l’exception de celles qui sont localisées dans la zone septentrionale du pays (22 % de jeunes dans l’Adamaoua n’ont pas accès à l’école, 29 % dans l’Extrême-Nord). Ces retards vont s’accumuler puisque le taux d’achèvement du primaire est estimé à 58 % dans l’Adamaoua et à 46 % seulement dans l’Extrême-Nord (contre environ 95 % dans toutes les régions non septentrionales du pays).

Le niveau de pauvreté des populations interfère aussi puisqu’on estime que si le taux d’achèvement du primaire est de l’ordre de 98 % pour un jeune du quintile de richesse le plus élevé résidant à Douala ou à Yaoundé, il n’est que de 28 % pour un jeune du quintile le plus bas résidant en zone septentrionale. Pourtant, selon la circulaire du 24 juillet 2000 portant organisation des modalités pratiques d’approvisionnement des écoles en matériels didactiques et pédagogiques, les établissements primaires publics reçoivent une subvention d’une valeur de 2500 FCFA par élève. Une dotation qui, selon un membre de la communauté éducative,  devrait être chiffrée à 3500 FCFA de nos jours.  Ils doivent payer, entre autres, des frais pour l’intégration d’un enfant à l’école primaire : les frais d’association de parents d’élèves (APEE), les frais pour soutenir les enseignants vacataires, les frais d’activités sportives et autres activités extrascolaires, les frais pour impression des épreuves.

 La gratuité de l'école ne doit pas être un vain mot

Ajoutés à cela les frais d’examens, les frais des goûters pour l’école maternelle et divers, un parent peut dépenser environ 60.000 Fcfa pour un enfant inscrit dans une école primaire publique. Mais  d’où vient-il donc que les parents soient rançonnés pour l’éducation de leur progéniture ? Un doigt accusateur est pointé sur les directeurs d’école. Ceux-ci, à l’instar de Jean Ndongmo, directeur de l’école publique de Djeleng II BI dans la commune de Bafoussam IIème et professeur des écoles normales d’instituteurs (Peni), Jean Ndongmo,  estiment que la gratuité de l'école ne doit pas être un vain mot. Elle suppose que les parents ne supportent aucune charge sur le plan financier. Pour y arriver, le contenu du paquet minimum doit être revu pour cesser d'être minimum et répondre aux besoins de l'école. Ils souhaitent que les caisses d'avance soient directement gérées par les Chefs d'établissement pour éviter la longue chaîne qui entrave le processus d'acquisition de celles-ci. Ils pensent également que la formation des enseignants du primaire aux NTIC doit être obligatoire et gratuite pour tous. Enfin, la rémunération des enseignants doit être revue à la hausse pour éviter la clochardisation et les actes de corruption qui gangrènent le système éducatif camerounais.

 

Pourquoi cette violation généralisée est acceptée et n'a jamais été portée devant les tribunaux ? Les avis sont partagés selon qu'on travaille dans les services centraux ou dans les services extérieurs.  Les responsables des services centraux évoquent les différentes mesures officielles qui ont été prises depuis l'annonce du Chef de l'Etat de la suppression des frais exigibles à l'école primaire publique. Il s'agit donc de la suppression de ces frais exigibles, l'introduction du paquet minimum dans les écoles et les crédits de fonctionnement. Par ailleurs, ces responsables évoquent également le recrutement des enseignants dans le cadre de la contractualisation de ceux-ci, la construction et l'équipement des salles de classe, l'achat des manuels scolaires dans certaines écoles avec l'aide de l'UNICEF.

Pour les responsables des services extérieurs, les mesures prises pour accompagner la gratuité restent insignifiantes, voire inopérantes. La suppression des frais exigibles a apporté d'autres problèmes où l'on ne saurait véritablement parler de l'école gratuite car l'apport des parents reste très utile au fonctionnement de ces établissements, pensent-ils.

Approché par Journalistes en Afrique pour le développement(Jade), l’avocat au barreau du Cameroun, Me Joseph Lavoisier Tsapy pense qu’au Cameroun, « les parents d’élèves sont amorphes et inaptes à défendre le droit à l’éducation. » Ce juriste affirme qu’en s’appuyant sur les instruments juridiques internationaux ou les lois nationales, les parents d’un enfant dont le droit à l’éducation est violé peuvent ester en justice et avoir gain de cause. Ingénieur de génie civil et parent d’élève à Bafoussam, Jules Koudom Takam est de cet avis. « Il suffit de solliciter un huissier afin qu’il constate l’exigence abusive des frais d’Ape. Cela peut servir de base pour gagner son procès contre un directeur d’école qui ne respecte pas la mesure de gratuité », explique-t-il. Mais pour lui, il y a des combats qui ne valent pas la peine d’être menés au tribunal. « Vous allez dépenser pour  faire intervenir un huissier à hauteur de 15.000 Fcfa et engager des frais de procès interminables, juste pour éviter de payer une somme d’Ape allant de 2000 à 10.000 FCFA suivant les établissements », analyse-t-il. Les missions de contrôle des inspecteurs de l’enseignement primaire et maternel ne produisent aucun effet, puisque aucun directeur d’école n’a jamais été sanctionné pour « exigence illégale et abusive » des frais d’Ape. Tout comme le passage des membres de la Commission nationale anticorruption. 

Parent de deux enfants à l’école publique bilingue de Bafoussam, Michel Fosso est conscient de l’illégalité des frais d’Ape. « Je préfère payer les 3000. Fcfa exigés que d’entrer dans des tiraillements avec le directeur d’école », soutient-il. Un renoncement que ne partage pas Augustin Ntchamandé, enseignant à la retraite et coordonnateur de l’organisation national des parents d’élèves du Cameroun(Onapec). Il invite les parents à se mobiliser pour la refonte des Ape dans les lycées et écoles publiques. Il pense que, pour être efficaces, les parents d’élèves doivent se regrouper dans une organisation indépendante afin de réellement impulser l’arrimage de l’école camerounaise aux normes internationales.

 

Le droit de toute personne à l'éducation

 En effet, le  Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels en son article 13 dispose : « 

1. Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent le droit de toute personne à l'éducation. Ils conviennent que l'éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et du sens de sa dignité et renforcer le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Ils conviennent en outre que l'éducation doit mettre toute personne en mesure de jouer un rôle utile dans une société libre, favoriser la compréhension, la tolérance et l'amitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux, ethniques ou religieux et encourager le développement des activités des Nations Unies pour le maintien de la paix.

2. Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent qu'en vue d'assurer le plein exercice de ce droit:

a) L'enseignement primaire doit être obligatoire et accessible gratuitement à tous;

b) L'enseignement secondaire, sous ses différentes formes, y compris l'enseignement secondaire technique et professionnel, doit être généralisé et rendu accessible à tous par tous les moyens appropriés et notamment par l'instauration progressive de la gratuité;

c) L'enseignement supérieur doit être rendu accessible à tous en pleine égalité, en fonction des capacités de chacun, par tous les moyens appropriés et notamment par l'instauration progressive de la gratuité;

d) L'éducation de base doit être encouragée ou intensifiée, dans toute la mesure possible, pour les personnes qui n'ont pas reçu d'instruction primaire ou qui ne l'ont pas reçue jusqu'à son terme;

e) Il faut poursuivre activement le développement d'un réseau scolaire à tous les échelons, établir un système adéquat de bourses et améliorer de façon continue les conditions matérielles du personnel enseignant….. »

 

L’enseignement primaire est obligatoire 

Les responsables des services centraux pensent que l'Etat fait beaucoup et va continuer à faire plus pour la mise en œuvre effective de la gratuité. Seulement, chacun doit prendre ses responsabilités. Ils invitent les directeurs d'écoles à respecter les instructions présidentielles en matière d'accès libre et gratuit des enfants en âge scolaire à l'école. L'Etat continuera, selon Nadia Tsala, responsable à la cellule de Communication du ministère de l’Education de base,  à respecter ses engagements conformément aux dispositions constitutionnelles,  à savoir s'occuper de la formation des Camerounais en rendant l'école accessible à tous, en fournissant des manuels scolaires et des matériels didactiques aux élèves et aux enseignants. Tout cela se fera en fonction, bien sûr, des disponibilités budgétaires.

Pour l’Organisation nationale du parent d’élève du Cameroun (Onapec), il  est à constater une fois de plus que le gouvernement a bel et bien failli à ses responsabilités. Il n’existe évidemment aucun contrôle sinon l’on se serait rendu compte depuis belle lurette que l’école primaire publique n’est pas gratuite au Cameroun. Dans la logique de l’article 13 du pacte international relatif aux droits sociaux et économiques, le décret présidentiel du 19 février 2001 dans son article 47 dispose que: «les élèves des écoles primaires publiques sont exemptés des contributions annuelles exigibles. ». Selon la loi n°2008/001 du 14 avril 2008 modifiant et complétant certaines dispositions de la loi n°96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la constitution du 02 juin 1972, précise dans son préambule que : «l’Etat assure à l’enfant le droit à l’instruction. L’enseignement primaire est obligatoire. L’organisation et le contrôle de l’enseignement à tous les degrés sont des devoirs impérieux de l’Etat.»

Guy Modeste DZUDIE(Jade)