Banyo. Des femmes déplacées internes livrées à la prostitution

Banyo. Des femmes déplacées internes livrées à la prostitution

Elles estiment que c’est leur seul moyen pour survivre

Depuis le début de la crise dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest, la ville de Banyo a déjà accueilli des milliers de déplacés internes. La majorité d’entre eux est constituée de femmes et d’enfants. Arrivées en terre inconnue et ayant tout abandonné derrière elles, bon nombre de ces femmes ont choisi la prostitution comme moyen de subsistance. « Ça fait deux ans que je suis ici à Banyo avec mes deux enfants. Je suis partie du Nord-Ouest après que les Ambazoniens aient tué mon mari. Je suis arrivée ici à Banyo où je ne connaissais personne. Au début on dormait dans une agence de voyage à même le sol », relate sous anonymat une déplacée interne. « C’est ainsi que j’ai fait la connaissance d’une fille qui était dans la même situation que moi. Elle m’a dit comment elle faisait pour s’en sortir en allant coucher avec les hommes. Je me suis aussi lancée car il fallait nourrir mes deux enfants ».

Ce développement de la prostitution risque d’augmenter le taux de séroprévalence dans le chef-lieu du département du Mayo-Banyo. « Il y en a qui prennent des mesures pour se protéger contre les maladies sexuellement transmissibles. Elles sont aussi nombreuses à venir ici chaque fois chercher du lubrifiant », nous confie une infirmière d’un centre de santé de Banyo.  

Aussi, ces déplacés internes, femmes et hommes confondus, n’ont jamais reçu le moindre soutien alimentaire de la part de l’Etat du Cameroun. Or dans d’autres villes du Cameroun, ils ont reçu à plusieurs reprises la visite du ministre de l’administration territoriale, qui à chaque fois ne vient pas les mains vides. Néanmoins, à la délégation régionale de la promotion de la femme et de la famille de l’Adamaoua, on affirme que des mesures d’accompagnement sont prévues pour régler de telles situations à travers des formations sur les activités génératrices de revenus.   

La loi est ignorée

Face à une telle situation, l’on est quand même appelé à se demander à quoi servent toutes ces conventions signées et ratifiées par l’Etat du Cameroun ? Si l’on prend par exemple l’article 4 de la convention de l’Union Africaine (UA) sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées en Afrique, sur les obligations des Etats parties relatives à la protection contre le déplacement interne, qui a été ratifiée par la Cameroun, tout est bien précis. « Toute personne a le droit d’être protégée contre le déplacement arbitraire…le déplacement individuel ou massif de civils en situation de conflit armé, sauf pour des raisons de sécurité des civils impliqués ou des impératifs d’ordre militaire conformément au droit international humanitaire », peut-on lire dans cette convention de l’UA dans son article 4 alinéa 4b.

De ce fait, l’article 5 de la même convention dans sons alinéa 1 stipule que, « les Etats parties assument leur devoir et leur responsabilité première d’apporter protection et assistance humanitaire aux personnes déplacées, au sein de leur territoire ou de leur juridiction, sans discrimination aucune ». Plus loin, on retrouve dans l’article 9b de la convention que l’Etat s’engage à « fournir aux personnes déplacées, dans la plus large mesure possible et dans les plus brefs délais, l’assistance humanitaire adéquate, notamment l’alimentation, l’eau, l’abri, les soins médicaux et autres services de santé, l’assainissement, l’éducation, et tous autres services sociaux nécessaires. Cette assistance peut être étendue, en cas de besoin, aux communautés locales et d’accueil ». Malheureusement ces déplacés internes arrivés dans le département du Mayo-Banyo il y a plus de cinq ans, attendent toujours une véritable action du gouvernement en leur faveur. 

Interview

Joël Dawa, délégué régional de la promotion de la femme et de la famille

« Il faut qu’elles respectent leur dignité »

Par F.E

Les femmes déplacées internes venues du Nord-Ouest et du Sud-Ouest se livrent à la prostitution à Banyo, car, disent-elles, elles sont abandonnées par l’Etat. Est-ce qu’au niveau de votre ministère, il n’y a pas un encadrement prévu pour ces personnes ?

Je ne peux pas vous dire que ces femmes déplacées internes de la crise du Nord-Ouest et du Sud-Ouest sont livrées à la débauche. Mais tout ce que je sais c’est que ces femmes ont été bien accueillies par les autorités locales. Et les actions qui sont menées au niveau du ministère de la promotion de la femme et de la famille a commencé par l’identification de ces femmes qui sont nombreuses. Elles sont organisées, structurées de telle manière que, lorsqu’on a des campagnes de sensibilisation, on se rapproche d’elles pour les sensibiliser sur le vivre ensemble, l’harmonie et la cohésion sociale, ainsi que leur autonomisation.

De façon aussi spécifique nous avons des actions qui sont menées en faveur de ces femmes notamment dans le cadre de l’octroi des aides et secours. Après identification de leurs besoins, elles bénéficient soit des aides scolaires, alimentaires et des aides liées aux activités génératrices de revenus. Par rapport à ces activités génératrices de revenus, les fonds qui leur sont octroyés permettent de développer les petits métiers, les petits commerces pour qu’elles puissent également s’épanouir. Dans toutes nos activités, elles sont associées, elles ne sont pas laissées à la merci ».  C’est vrai que, ce que vous déplorez peut se passer, car il y a toujours des glissements, mais ces femmes déplacées internes sont bien encadrées par notre ministère selon nos moyens.

Nous venons de célébrer la 38e édition de la journée internationale de la femme. Quel message passez-vous particulièrement à ces femmes déplacées internes ?

Ces femmes sont chez elles au Cameroun. Elles sont déjà bien accueillies par les autorités locales. Nous allons toujours continuer à mener des actions en leur direction. Donc, qu’elles se sentent à l’aise et qu’elles puissent se rapprocher davantage de nos services sur le plan départemental qui renforcent les capacités des femmes dans les domaines de la couture, de la technique de l’information et de la culture. D’ailleurs le thème de cette année va en droite ligne avec cela, car nous sommes, dit-on, dans un monde inclusif, d’innovation et de technologie pour l’égalité des sexes. Donc nous allons les accueillir à bras ouvert pour qu’elles puissent aussi être formées et, à la fin pour qu’elles puissent aussi être insérées sur le plan socioprofessionnel. Nos délégations départementales apportent aussi des appuis psychosociaux et un accompagnement matériel à ces femmes.

Est-ce que vous avez un message particulier pour celles qui ont « glissé » vers la prostitution ? Le message que j’envoie à celles-là c’est qu’elles ne se laissent pas emporter par la vie facile. Qu’elles ne se laissent pas entraîner par le mauvais usage des réseaux sociaux et qu’elles respectent leur dignité. Je les invite toutes à chercher leur autonomisation à travers des activités génératrices de revenus.

Par Francis Eboa (Jade)