Yabi-Mapan. Chefs traditionnels et déplacés anglophones à couteaux tirés

Yabi-Mapan. Chefs traditionnels et déplacés anglophones à couteaux tirés

Accusés de cultiver des hectares de terres sans autorisation, d’exploiter frauduleusement les forêts et d’enterrer leurs morts sans l’aval des chefs traditionnels, les déplacés anglophones sont au centre de toutes les critiques.

 « On a plus de 1000 hectares de terres cultivables qui sont exploités par les anglophones sans autorisation. Ces exploitants illégaux ont même construit des campements où ils accueillent des centaines de leurs frères qui continuent d’arriver tous les jours », s’inquiète  Samuel Mbougoum le chef de Yabi-Mapan, petit village situé dans l’arrondissement d’Edea 1e département de la Sanaga Maritime, région du Littoral.

« Nous ne savons pas qui ils sont, d’où ils viennent. Ils font même des enterrements sur nos sols sans notre avis. Ils pratiquent l’agriculture et coupent du bois. L’Etat doit intervenir, sinon j’ai peur d’un carnage », poursuit le chef.

Ils n’étaient que très peu au début de la crise anglophone, il y a trois ans, ils sont, aujourd’hui, une centaine à avoir trouvé refuge dans le village.

« Je sollicite une action forte pour faire respecter la demande d’arrêt des travaux servie à ces individus dont les activités sont une menace à l’ordre public », précise un des notables furieux.

Dans une lettre déposée à la préfecture au début du mois de mars 2020, le chef du village demande au préfet Cyrille Mbondol de descendre sur le terrain pour toucher du doigt la situation qui devient explosive. Le préfet qui a accusé réception de la lettre n’est jamais descendu sur le terrain. 

Les populations en colère

« Avec la colère actuelle des populations, ça  peut dégénérer à tout moment en des situations incontrôlables, puisque les habitants en ont marre de cette injustice, et ont le sentiment que ces exploitants que nous trouvons illégaux sont au-dessus de la loi », s’inquiète un habitant.

C’est en effet le 18 Avril 2018 que les chefs traditionnels de la communauté Adié de l’arrondissement d’Edéa 1e ont émis la première note de service pour demander à deux « exploitants illégaux » de forêts qui étaient des déplacés anglophones partis de la région du Sud-Ouest, d’arrêter leurs activités.

« Vous vous êtes introduits sans droit ni autorisation dans une parcelle du domaine national qui relève du patrimoine ancestral. Nonobstant les demandes d’arrêts de travaux, vous avez décidé de vous maintenir par la force. Faute de vous exécuter, je me verrai dans l’obligation d’engager à votre encontre des sanctions», précisait la lettre.

 Malgré ces sommations, les déplacés ont continué tranquillement d’exploiter les forêts du village. Trois ans après, les activités se sont même multipliées au point de susciter la colère. «  Les habitants du village ont décidé de prendre les machettes pour régler cela à leur manière, et j’ai peur qu’il y ait mort d’hommes », prévient le chef dans une nouvelle lettre adressée au préfet de la Sanaga Maritime.

Les déplacés inquiets 

Pour rencontrer les déplacés anglophones, il faut se frayer un  chemin dans la forêt dense du village Yabi-Mapan. En cette journée ensoleillée du lundi 9 novembre, nous avons multiplié les efforts pour aller à la rencontre de ces derniers.

« Voilà où nous dormons », montre du doigt Enoh f. l’un des déplacés. Il nous présente une cabane en bois, juste suffisante pour s’abriter et vivre en toute simplicité. Les autres membres du groupe sont en brousse au moment de notre arrivée. Enoh nous explique qu’ils étaient déjà exploitants forestiers dans la région du Sud-Ouest où ils vivaient avant.

« Lors de notre arrivée, nous avons trouvé des espaces cultivables abandonnés. Les autochtones nous ont donné l’autorisation de les exploiter. Surpris par notre façon de travailler, ils ont commencé à présenter des crises de jalousie. Aujourd’hui, nous cultivons de grandes surfaces pour revendre sur le marché de l’ensemble de trois arrondissements. C’est ça qui leur fait mal au point de demander notre départ », tranche Enoh.  

Le préfet tolérant

Le nouveau préfet (son nom?),  que nous avons rencontré à Edéa, affirme qu’il va prendre un peu de temps pour pouvoir rassembler les différentes parties concernées par le problème.

Pour lui, il sera difficile de faire partir les déplacés anglophones puisqu’ils ont déjà fui des conflits pour trouver refuge dans ce village. « Nous avons constaté que ces déplacés, qui sont en fait des grands travailleurs, sont allés dans les profondeurs du village  où ils exploitent des parcelles qui étaient abandonnées. Des endroits parfois inaccessibles. Leur activité n’empiète pas sur celle des habitants du village qui sont regroupés dans le centre. C’est pour cette raison que malgré les plaintes, nous appliquons la tolérance administrative. Nous attendons avant de prendre une décision », précise Cyrille Mbondol.

Sur place au village, les habitants veulent en découdre avec les déplacés. Ils annoncent des représailles à la fin du mois de décembre.

Des menaces que le préfet doit prendre au sérieux, lui qui a la charge, au nom de l’État, de protéger à la fois la liberté et la sécurité de toute personne en période de conflit, selon l’article 9 du pacte international relatif aux droits civils et politiques.

 Hugo Tatchuam (Jade)