Région du Nord du Cameroun : Un homme de 33 ans reçoit 120 coups de fouet

Région du Nord du Cameroun : Un homme de 33 ans reçoit 120 coups de fouet

Les gardes du Lamidat de Tcheboa, qui en sont les auteurs, ont exécuté une sanction prononcée par le lamido qui nie cependant être la source de la gravité des plaies observées sur ce jeune vendeur de bois.

Le nommé Woulgang Souhina, 33 ans environ, a été atrocement bastonné par les dogaris, ou gardes, du Lamidat de Tcheboa, une chefferie traditionnelle située dans l’arrondissement de Ngong, département de la Benoué, le 13 février 2023. Ce Massa a reçu 120 coups de fouet aux fesses sur lesquelles ont été découvertes des blessures sévères au sortir de son incarcération, explique l’infortuné. «Il s’agit d’une blessure profonde qui a touché les muscles fessiers. La profondeur est de plus de 20 cm et la plaie est infectée sur le fessier gauche », selon un personnel de santé à Ngong à la suite de cet acte de torture si on se réfère à l’article 277-3 (5) du Code pénal camerounais.

Le texte précise que : “Pour l’application du présent article, le terme “torture” désigne tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques, mentales ou morales, sont intentonnellement infligées à une personne par un fonctionnaire, une autorité traditionnelle ou tout autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement expresse ou tacite, aux fins notamment d’obtenir d’elle ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d’un acte qu’elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis, de l’intimider ou de faire pression sur elle ou d’intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou tout autre motif fondé sur une forme de discrimination, quelle qu’elle soit.(….)”.

En fait, le jeune homme a été accusé d’injures chez le Lamido de Tcheboa par son ex-employeur au marché de la commune alors qu’il discutait avec un ami. Les faits se déroulent le 25 février 2023. Le lendemain, explique Woulgang dans une vidéo. Il a été interpellé par la garde puis amené au Lamidat“de force”, renchérit Me Désiré Sikati, dans un communiqué du 15 mars dernier. Il a ensuite et immédiatement reçu sa punition, indique le Secrétaire National Délégué du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC) chargé des Droits de l’Homme et de la Gouvernance.

Au terme de la bastonnade, soutient la victime dans la même vidéo, il a été mis dans une case dans des conditions d’hygiène inapropriées  où il a passé trois jours sans eau, sans nourriture. C’est à la fin de ce séjour qu’il a alors été abandonné sous un arbre au marché à bois de Gayandi à Ngong, avant d’être conduit par sa famille à l’hôpital de district de cette même ville.

Indignation

L’affaire, qui été fortement relayée, a tôt fait de créer l’émoi au sein de la communauté nationale d’autant plus que la Constitution dispose que “l’Etat…affirme son attachement aux libertés fondamentales inscrites dans la déclaration universelle des Droits de l’Homme, la charte des Nations-Unies, la charte africaine des droits de l’homme et des peuples et toutes les conventions internationales y relatives et dûment ratifiées”, et que celui-ci, dans ses principes, déclare que “toute personne a droit à la vie et à l’intégrité physique et morale. Elle doit être traitée en toute circonstance avec humanité. En aucun cas, elle ne peut être soumise à la torture, à des peines ou traitement cruels, inhumains ou dégradants”. La Commission des droits de l’homme du Cameroun (CDHC) représentée dans la région a d’ores et déjà effectué une descente auprès de la famille ainsi que dans la formation hospitalière de prise en charge du patient traumatisé. L’institution nationale des Droits de l’homme a constaté que “les faits de traitement inhumain infligé à la victime sont avérés”.

Sur le champ politique et dans son communiqué intitulé “Dénonciation du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC) au sujet des actes de torture insoutenable infligée au nommé Woulgang dans l’enceinte du Lamidat de Tcheboa (region du nord-cameroun)”, Me Sikati s’insurge du fait que“cette situation est d’autant plus alarmante et critique que le Lamido de TCHEBOA est parait-il coutumier de pareils actes, et aurait même  fait l’objet d’une condamnation pénale non exécutée à ce jour” . Il dénonce en outre et “avec véhémence ces actes de torture atroces, sauvages, inhumains, et rappelle en même temps qu’une justice privée barbare ne saurait avoir sa place, ni être tolérée dans un Etat de droit”. Dans la même veine, Moussa Ousseni, acteur de la société civile dans cette Région, soutient que les chefs traditionnels ne doivent pas se “prévaloir d’une certaine liberté de faire mal et de nuire”.

Fait récurrent

Les faits sont effectivement et davantage préoccupants car ce Lamidat est coutumier de ce genre de situation, à en croire plusieurs témoignages. Dans son édition du 17 mars 2021, l’Oeil du Sahel informe qu’un cultivateur a reçu 100 coups de fouet au Lamidat pour avoir contredit son chef du quartier lors d’un enterrement. Le scénario est identique à celui de sieur Woulgang. Le nommé Pierre Glaki, âgé d’une trentaine d’années, cultivateur dans la localité de Bilel, commune de NGONG, a été convoqué au Lamidat à la suite d’une plainte déposée par son chef de quartier. “Lorsque nous sommes arrivés au Lamidat de Ngong, des gens m’ont récupéré et m’ont copieusement administré 100 coups de fouet sur les fesses et au dos. Personne n’a daigné prendre la peine de me demander ce qui s’est passé ou même de m’entendre”, avait indiqué Pierre Glaki, peut-on lire dans le journal.

Malgré ces accusations, pour le chef traditionnel il n’y a aucun problème. Il ne s’en cache d’ailleurs pas. Toujours chez nos confrères du journal l’Oeil du Sahel, SM Moussa Aboubakary déclare : “Sans fouet, on ne peut ni gérer, ni redresser une communauté. Si le lamidat de Tcheboa est l’un des rares où règne le vivre-ensemble, c’est grâce à ces petites astuces que nous utilisons pour persuader la population”. L’autorité semble ignorer les dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 qui indique à son article 7 que “Nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants” ou de celles de l’article 10-1 qui précise que “Toute personne privée de sa liberté est traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine”.

Bien plus, l’autorité traditionnelle refuse d’assumer la conséquence des actes de sa garde dont il est le commanditaire. “Mais dire que 120 coups lui ont été administrés, c’est faux. Et puis, ces plaies ne sont pas le fruit des fouets. Si c’était le cas, on devait voir les traces laissées par les fouets sur la peau. A mon avis, ce sont les esprits des bois qui le chatient puisqu’il détruit les arbres pour avoir le bois de chauffe”.

Justice pour la victime

Au moment où le “MRC appelle les autorités administratives à prendre en charge les soins médicaux de la victime, et les autorités judiciaires à engager des poursuites légales contre toutes les personnes impliquées dans les faits dénoncés”, aucune plainte n’avait encore et déposée. C’est la CDHC, qui a échangé avec la famille à l’hôpital de district de Ngong, qui lui a proposé“de saisir le procureur de la République près les tribunaux de la Bénoué” en indiquant par ailleurs son intention d’effectuer “une descente au lamidat Ngong pour complément d’information”. Mais jusqu’ici, on ne sait pas si la famille s’y est engagée.

Par contre, informent nos confrères du journal Le Jour, le Sous-préfet de la localité est au courant des faits. “Nous avons instruit que ce jeune soit pris en charge”, a déclaré l’autorité administrative. On apprend de plus que plusieurs notables du Lamidat de Tchéboa ont été entendus par les enquêteurs de la brigade de gendarmerie de Ngong et que le sous-préfet de la localité et le procureur de la République près les tribunaux de la Bénoué à Garoua auraient même diligenté deux enquêtes distinctes. C’est en droite ligne des engagements internationaux du Cameroun qui est par exemple partie à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants à laquelle le pays adhère.

L’instrument juridique international précise justement dans son article 2(1) que “ Tout Etat partie prend des mesures législatives, administratives, judiciaires et autres mesures efficaces pour empêcher que des actes de torture soient commis dans tout territoire sous sa juridiction”. Dans l’article 14 (1), il est clairement rappelé que “Tout Etat partie garantit, dans son système juridique, à la victime d’un acte de torture, le droit d’obtenir réparation et d’être indemnisée équitablement et de manière adéquate, y compris les moyens nécessaires à sa réadaptation la plus complète possible. (…)”.

Quant aux dogaris, auteurs des coups ayant  conduit à la dégradation de la santé du nommé Woulgang, ils sont  introuvables, d’après certaines sources.

Au dessus de la loi ?

Bien que de nombreux cas de violations des droits humains ou fondamentaux des citoyens vivant dans les Lamidats aient été recensés jusqu’ici, on n’a pas encore enregistré de condamnation définitive contre une autorité traditionnelle, qui plus est de la partie septentrionale du Cameroun. Plusieurs cas documentés n’ont pas encore connu de véritable issue judiciaire. C’est le cas de l’affaire “Pierre Glaki”. Le malheureux avait déposé une plainte auprès de la gendarmerie. Après les enquêtes préliminaires, l’affaire a été portée au parquet des tribunaux de Garoua où le plaignant a déjà été entendu. Depuis, plus rien.

En 2022, le Cameroun a également été ébranlé par la mort d’un jeune homme de 18 ans qui avait trouvé la mort dans le Lamidat de Garoua et pour lequel l’autopsie du corps avait révélé des traces de tortures. Le patron avait, dans sa déclaration d’alors, affirmé que l’enfant était sous l’emprise de stupéfiants. Le personnel de santé ayant signé le certificat de genre de mort avait parlé de décès des suites d’arrêt cardiaque. Au final, le Lamido a été “soupçonné d’être lié à la mort de l’un de ses neveux, tué sur sa propriété”. SM Ibrahim El Rachidine avait ainsi été entendu par la gendarmerie et gardé dans un lieu tenu secret. Officier de gendarmerie qui fait carrière au sein de la sécurité militaire, le chef traditionnel avait été plus tard inculpé de torture et d’homicide. Dans la foulée, six autres personnes avaient également été déférées devant la justice. Parmi eux, deux militaires étaient au service d’Ibrahim El Rachidine.

Comme ces dernières institutions traditionnelles, plusieurs autres sont le théatre des faits de violations des droits humains. Certaines sont documentées, d’autres sont tout simplement passées sous silence dans des régions où le lamido jouit d’une influence à la fois politique,  culturelle et cultuelle. Sauf que cette situation abimel’image du Cameroun qui se bat pour démontrer qu’il est un Etat de droit au regard des différents rapports sur l’état des droits de l’homme dressés par le ministère de la justice et transmis aux Nations Unies.

Hervé Ndombong (JADE)