Rapport norvégien sur la crise anglophone. Les autorités refusent d’admettre que cette crise est négligée

Rapport norvégien sur la crise anglophone. Les autorités refusent d’admettre que cette crise est négligée

Denis Omgba, directeur de l’observatoire des médias au ministère de la Communication affirme qu’il a sur sa table  une injonction du président de la République, lui demandant de « traquer et fermer » tous les médias qui diffusent des informations sur les conflits dans les régions anglophones. Une réaction au lendemain de la publication d’un rapport, qui considère cette crise « comme la troisième la plus négligée au monde ».

D’un ton ferme et très en colère, Denis Omgba, directeur de l’observatoire des médias au ministère de la Communication indique ce samedi 18 Juin : « Sur ma table il y a la correspondance du président de la République, qui me demande de rechercher surtout les chaînes de télévision qui ne diffusent que les informations sur la crise anglophone. Il y en a au moins dix chaînes de télévision basées à  Bamenda, créées par des séparatistes, qui ne diffusent que les images et les informations sur les conflits dans les régions anglophones, que nous avons déjà traquées et fermées. En ce moment nous continuons à traquer ces médias pro-ambazoniens qui ne parlent que des tueries des militaires et ne diffusent que des images et des stratégies de guerre des séparatistes, présentent des militaires tués dans les conflits etc. C’est notre travail ! ».

Pour Denis Omgba, ces chaînes de télévision font de la propagande de guerre. «  Je peux vous donner combien de médias sont nés depuis le début de la crise anglophone.  Des médias qui ne font que ça. A Bamenda il y a des chaînes de télévision qui diffusent soit par câble, soit par satellite, soit par internet. ».

Plus de 5000 conférences de presse et communiqués depuis 2016

Le 1e juin 2022, la crise anglophone est apparue sur la liste annuelle  des crises négligées comme la 3e la plus négligée au monde. Une liste dévoilée par le conseil norvégien des réfugiés, une organisation humanitaire indépendante qui vient en aide aux personnes contraintes de fuir la crise.

La liste était basée sur trois critères principaux. Le manque d’attention des médias, le manque de financement du gouvernement pour trouver une solution de sortie de crise, le manque d’initiatives internationales, politiques et diplomatiques. Le rapport révèle aussi que l’insécurité croissante et les abus contre les civils ont forcé les personnes des deux régions anglophones à fuir. 700 000 enfants sont dans l’impossibilité d’aller à l’école.

Réagissant à ce rapport, sur le volet « Le manque d’attention des médias », Denis Omgba affirme être surpris, car selon lui, le gouvernement fait beaucoup d’efforts pour communiquer sur cette crise. « C’est tout de moins surprenant. D’abord, parce que la crise anglophone à mon sens a fait l’objet d’un traitement dense de la part des médias locaux, si je n’en juge que par le nombre de conférences de presses, les communiqués faits sur le sujet, on peut en compter au minimum 5000. Des communiqués et rapports faits par le gouvernement, et couverts par des médias depuis 2016. Si je prends le nombre d’articles écrits, je ne sais pas quel est l’élément de mesure de ce conseil norvégien des réfugiés », s’est exclamé Denis Omgba.

Manque d’initiatives internationales, politiques et diplomatiques

Eric Menyengue Ateba, diplomate en service à l’antenne protocolaire et consulaire du ministère de Relations extérieures à Douala, est le point focal de l’organisation internationale pour les migrations (OIM). Il coordonne un projet  lancé il y a sept ans avec le gouvernement camerounais, financé par l’Union Européenne pour faire rentrer au pays tous les citoyens camerounais ayant fui les conflits dans les régions anglophones et a l’extrême nord, et actuellement en détresse dans les pays étrangers. Ce projet démontre qu’une  initiative internationale est menée.

« Au départ, le projet consistait à faire revenir près de 850 personnes. Mais avec l’augmentation des conflits dans les régions anglophones, nous avons constaté que parmi les personnes dont les dossiers nous étaient transmis, il y avait beaucoup de déplacés des régions anglophones. Nous avons donc écrit à l’Union Européenne pour lui demander de prolonger ce projet. Ce qui a été fait. A ce jour, nous avons déjà réussi à faire rentrer au pays plus de 300 déplacés des régions en crise. Lorsqu’on localise un déplacé en situation difficile dans un pays, on demande qu’il s’enregistre sur une fiche de « rapatriement volontaire » de l’OIM. Puisque l’OIM a des camps dans chaque pays. Ensuite on organise leur retour. Arrivés au pays, ils sont accueillis à l’aéroport par une équipe mixte des services de santé, de sécurité, et autres. Tous ceux qui sont malades sont pris en charge gratuitement », explique  le diplomate Eric Menyengue Ateba.

La deuxième phase du projet consiste à l’intégration sociale de ces personnes rapatriées. « L’Etat donne 800 000 fcfa, à toutes les personnes rapatriées pour les aider à mener une activité commerciale. L’argent est donné après la présentation d’un business plan », précise Eric Menyengue Ateba.

L’Ong « FGI » basé à Bamenda approuve le rapport norvégien

Gaby Ambo, président de l’Ong Finders Group  Initiative (FGI) installée à Bamenda affirme que le rapport du conseil norvégien des réfugiés est conforme à ce qui se passe réellement sur le terrain. « Normalement le Cameroun doit occuper la première place dans ce rapport. Je sors de Genève, j’étais membre dans une conférence internationale. Ce conflit est négligé parce qu’au niveau politique, le gouvernement camerounais fait tout pour bloquer les informations dans les régions anglophones. Autre raison, les membres des Nations Unies engagés au Nord-Ouest font uniquement dans l’humanitaire, ils n’engagent pas les procès contre le gouvernement malgré les dénonciations. Ils prennent toujours la position du gouvernement. Aussi, les ongs locales n’ont pas les moyens pour faire leurs propres investigations, et elles n’ont pas également l’accès sur le terrain, à cause des barrières ambazoniennes et militaires.  Ensuite, les ongs internationales ne viennent pas au Cameroun parce qu’elles n’ont pas d’intérêts dans ce pays. Et enfin les journalistes en place ont peur d’aller travailler dans ces zones de crise pour leur vie. Vous voyez l’affaire Wazizi et l’affaire Mimi Meffo »

Le conflit ne supprime pourtant  pas la nécessité d’informer

Selon la convention européenne des droits de l’homme sur la protection des journalistes, « la situation de conflit ne supprime pas la nécessité de la diffusion d’informations adéquates par les médias. Bien au contraire, elle la rend plus impérieuse encore ». Pour elle, la liberté d’expression et d’information est l’un des fondements essentiels d’une société démocratique. En cas de conflit, les droits de l’homme et le droit international humanitaire sont souvent violés. Il est donc indispensable que le public ait des informations sur ces conflits et ces guerres. Les journalistes travaillent dans ces zones de conflits pour donner des informations exactes et les commenter, donc pour servir le public. La décision du gouvernement de fermer les médias en régions anglophones est une violation de cette convention.

Par ailleurs,  le Cameroun n’ayant pris aucune mesure durable pour résoudre la crise anglophone, entraînant de nombreux déplacés internes sans prise en charge, viole ainsi la convention de Kampala  qui oblige les Etats parties « à rechercher des solutions durables au problème de déplacement notamment par la promotion  et la création des conditions satisfaisantes pour le retour volontaire, l’intégration locale ou la réinstallation de manière durable, et dans les conditions de sécurité et de dignité ».

Hugo Tatchuam (Jade)