Portrait. Kengne Kayo, le  syndicaliste aux 74 arrestations irrégulières

Portrait. Kengne Kayo, le syndicaliste aux 74 arrestations irrégulières

Comme ce syndicaliste et militant politique basé à Bafoussam, de nombreux Camerounais sont victimes des abus des officiers de police judiciaire dont certains confessent  ignorer que selon le droit international des droits de l’Homme, «Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul ne peut faire l’objet d’une arrestation ou d’une détention arbitraire. »

Ce 24 mars 2023, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc), fête ses 38 ans d’âge sur l’ensemble du triangle national. Se présentant comme un « antisystème Biya », Kengne Kayo, plus de 50 ans d’âge, est contre cette célébration. Ayant pris place devant sa quincaillerie située sur la route Nationale N°6 qui va de Bafoussam à Bamenda, il « grince des dents » lors du passage, peu avant 12 heures et  avec sirènes ronflantes, du cortège du gouverneur de la région de l’Ouest, Awa Fonka Augustine, en direction du lieu des festivités de la Section Rdpc de la Mifi Ouest à Bamougoum dans la commune de Bafoussam IIIème. « Le Rdpc célèbre un parti dont le chef incarne 40 années de pillage des ressources du pays et de violation des droits humains. C’est de la  comédie », s’indigne-il, le visage froissé.

Lorsqu’il se lève pour marcher, l’on remarque qu’il boîte. «C’est une grâce que je sois en vie. Depuis la fin des années 1990, j’ai été l’objet de plusieurs actes de violence et  torture orchestrés par les autorités administratives et mis en œuvre par les officiers et agents de police judiciaire. Ils ne supportent pas mes convictions de militant panafricain ou mon engagement syndical pour la défense des droits des commerçants de la ville de Bafoussam. Chaque fois qu’un mouvement de grève ou une marche de contestation politique est envisagée, les services de renseignements, les policiers et les gendarmes sont à mes trousses pour m’arrêter. Et sans aucune manière. J’ai été arrêté 74 fois de façon irrégulière »,précise-t-il.

Exiger réparation des violations

Une fois dans la pièce qui sert de bureau à Kengné Kayo, le reporter de Journalistes en Afrique pour le développement(Jade) remarque que sa table de travail est encombrée de plusieurs documents dont un exemplaire du code pénal camerounais. Il affirme avoir été interpellé, en 2019, de manière spectaculaire. « Ils ont garé le car de la gendarmerie à l’entrée de ma maison au quartier Djeleng III à Bafoussam. Sans mandat ni titre, ils m’ont intimé l’ordre de rejoindre leur véhicule. J’ai demandé la notification liée à cette interpellation. Ils ont répondu : « entrez d’abord, on verra la suite au poste ». C’est au niveau du poste que j’ai été envoyé directement chez le procureur et inculpé pour incitation à la révolte. Par la suite, on m’a libéré sans aucune explication », se rappelle-t-il.

Non sans manquer de dénoncer les manquements à l’alinéa  4 de l’article 9 du Pacte International relatif aux droits civils et politiques qui indique : « Quiconque se trouve privé de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal afin que celui-ci statue sans délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. 5. Tout individu victime d’arrestation ou de détention illégale a droit à réparation. » « Prochainement, je vais m’inspirer de l’affaire Mukong pour trainer l’Etat du Cameroun devant les instances juridictionnelles internationales et demander réparation », promet-il.  Il est d’autant plus optimiste qu’il a en tête ce texte Onusien qui dispose : « Tout individu arrêté sera informé, au moment de son arrestation, des raisons de cette arrestation et recevra notification, dans le plus court délai, de toute accusation portée contre lui. »

« Actuellement, mon numéro de téléphone que j’utilisais a été bloqué par un opérateur de téléphonie mobile sur ordre des autorités avec plus de 400.000 Fcfa(Quatre cent milles francs Cfa) au motif que cette somme devrait servir à alimenter les mouvements sécessionnistes dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-ouest », déclare-t-il. Malgré plusieurs recours, Kengné Kayo n’a pas vu son numéro de téléphone rétablie. « Chaque fois que je suis abusé, je fais des recours qui ne prospèrent pas. Le procureur général n’a jamais donné une suite favorable à mes recours contre les officiers de police judiciaire pour leur brutalité sur ma personne et manquements au respect du code de procédure pénale. Alors que chaque fois, je dispose des preuves et des témoins des abus en question. Ils ont poussé le ridicule une fois jusqu’au point d’arrêter mes collaborateurs pour me faire sortir de ma cachette», dénonce-t-il. « J’ai un domicile connu. Mais je dois parfois vivre comme un fugitif alors que je suis membre d’un syndicat légalisé et acteur politique.

J’ai été élu conseiller municipal sous les couleurs du Front social démocrate (Sdf en anglais). Mon mandat est allé de 2002 à 2007. J’ai participé au débat républicain à ma manière. Je ne sais pas me taire devant les injustices qui gangrènent notre société. Ici à Bafoussam, le harcèlement fiscal des commerçants fait partie du cahier de charges des différents inspecteurs des impôts. Les magouilles dans l’octroi des boutiques au marché, orchestrées par les autorités municipales et leurs proches, constituent les choses contre lesquelles je m’oppose. Je crois à la justice sociale et au panafricanisme. Je suis engagé à aller jusqu’au bout de mes convictions, malgré les abus et les menaces. Je suis persécuté pour mes convictions. Une fois, le gouverneur de la région de l’Ouest a poussé une cohorte de militaires à me battre et me fracasser la mâchoire devant l’actuel hôpital de district de santé de Djeleng, anciennement appelé Grandes Endémies. Affaibli et hospitalisé, j’ai passé quarante jours sans m’alimenter avec quelque chose de solide. J’ai été soigné par le Dr Sokoudjou, dentiste à l’hôpital régional de Bafoussam au moment des faits », poursuit ce membre influent du Syndicat national des commerçants. 

Les libertés d’aller et de venir en sursis au Cameroun

Cette triste réalité, à laquelle est habitué Kengne Kayo, a été, une fois de plus, dénoncée par la Commission nationale des droits et libertés, dans le cadre d’un atelier organisé le 14 mars dernier  à l’attention des officiers de police judiciaire de la région de l’Ouest. La secrétaire permanente de la Commission à l’Ouest  indique être au courant des cas où des officiers de police judiciaire(Opj), après avoir interpellé irrégulièrement un citoyen, refusent que ses proches lui rendent visite. Elle dénonce aussi les gardes à vue prolongée sans autorisation du Procureur de la République.

Certains Opj sont passés aux aveux et ont reconnu leur méconnaissance des instruments juridiques nationaux et internationaux relatifs au droit de la défense. Et même des codes de conduite interne à chaque corps des armées. L’État du Cameroun ne veille pas à l’application du code de procédure pénale ou des instruments juridiques internationaux qui impose le respect des droits de la défense. Certains Opj rencontrés au cours de cet atelier par nos confrères d’Equinoxe Télévision, reconnaissent leur méconnaissance des textes et promettent d’arrimer leur conduite aux instruments favorables au respect des droits humains. Une confession à laquelle, Kengné Kayo ne croit pas : « Ils sont formés pour torturer les citoyens éveillés et aider le système dictatorial à se maintenir au pouvoir.»

Avocat au barreau du Cameroun, Me Julio Koagne, estime que les Opj sont victimes des éléments contenus dans le code d’instruction criminelle qui n’accorde pas de place à la présomption d’innocence.  Cet avocat formé à la Common Law school (écoles des avocats) au Nigeria estime que dans les pays Anglo-Saxons de l’Afrique,  le respect des droits humains est valorisé chez les Opj, mieux que dans l’espace francophone naguère sous l’influence coloniale française et du code d’instruction criminelle. Le juriste appelé au respect des exigences du Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui protègent la liberté d’aller et de venir ou la protection de l’intégrité physique et de la dignité humaine. L’article 7 de ce texte dispose : « Nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, Inhumains ou dégradants. » Et l’article de stipuler que : « 1. Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul ne peut faire l’objet d’une arrestation ou d’une détention arbitraire. Nul ne peut être privé de sa liberté, si ce n’est pour des motifs et conformément à la procédure prévue par la loi. »

Guy Modeste DZUDIE(Jade)