Parc national de Campo-Maan. Les éléphants sèment l’insécurité

Parc national de Campo-Maan. Les éléphants sèment l’insécurité

En raison de leur protection, ces pachydermes et les buffles détruisent les plantations et terrorisent les villages riverains.

Un cocotier abattu derrière une maison, des bananiers renversés, des plants de manioc déterrés et leurs racines consommées : c’est le tableau auquel on assiste dans la réserve faunique de Campo-Maan où éléphants et buffles dévastent les plantations des populations riveraines pour s’alimenter. A Nazzareth, Akak, Koelon, Bitande-Assok,… le conflit tourne en permanence à l’avantage des animaux. « On est obligés de faire le feu devant la maison en dormant, pour les éloigner», rapporte Judith Ondo née Ekom, notable et épouse du chef du village Bitande-Assok. En vain : « Il y a  une Ong qui nous a distribué les semences de piment et de gombo, mais les éléphants ont tout piétiné, au moment où on commençait même déjà à vendre le gombo. On nous a même formés à l’élevage des abeilles ; on a fait le manioc devant et les caisses pour le miel à l’arrière. Quand les éléphants sont venus manger le manioc, les abeilles les ont attaquées et ils ont détruit toutes les caisses », témoigne Judith Ondo, agricultrice et notable Bitande-Assok.

Seize ans déjà que cette guéguerre perdure, avec plus d’acuité ces deux dernières années. A la faveur de l’implantation des agro-industries dans la zone. Ce qui réduit l’espace vital des populations, et en même temps rapproche les animaux des villages. « Lorsque les éléphants arrivent quelque part, ils reviendront toujours, même des années après », explique le conservateur du parc. Avec la garantie d’évoluer en terrain conquis, protégés qu’ils sont. Autant dire que rien ne devrait changer même dans un avenir lointain, tant de nombreux projets industriels s’annoncent encore dans la zone. « On crée un parc, c’est bien pour la biodiversité, mais les populations doivent mourir ? », se demande Martin Ndongo, notable du village Koélon. « Le constat que nous en faisons est que l’animal est plus important qu’un être humain», appuie Ondo Assoum Pie Parfait, chef de 3ème degré de Bitande-Assok.

Famine

Et le spectre de la famine plane sur les villages riverains où « on a décidé de ne plus cultiver depuis deux ans, puisqu’on cultive et ce sont les animaux qui mangent », selon Sa majesté Paul Obate Akono, chef du village Koelon et agriculteur. « On a atteint un niveau où on n’arrive plus à avoir la semence», se lamente-t-il. A cause de ce conflit avec les animaux, les Bantou rejoignent désormais dans cette crise alimentaire, les pygmées Baka et Bagyéli notamment, qui souffraient déjà de la déforestation. La cohabitation est « impossible» avec la population faunique, mais difficile de partir dans l’incertitude et le dénuement. La nécessité de survie impose de résister sur ces terres, mamelles nourricières léguées par les ancêtres.

Les populations se sentent abandonnées par l’Etat supposé protéger ses fils. Les plaintes déposées auprès des autorités étatiques semblent ne pas aboutir. «Chaque fois, vos plaintes sont envoyées en haut, et après, rien n’arrive», peste Judith Ondo. De fait, l’Etat a jusqu’ici failli à son devoir de protection, en violant l’article 1 alinéa 2 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels qui dispose que « pour atteindre leurs fins, tous les peuples peuvent disposer librement de leurs richesses et de leurs ressources naturelles, sans préjudice des obligations qui découlent de la coopération économique internationale, fondée sur le principe de l’intérêt mutuel, et du droit international. En aucun cas, un peuple ne pourra être privé de ses propres moyens de subsistance».

Un texte qui tire sa légitimité de l’article 45 de la Constitution du Cameroun, qui prévoit que « les traités ou accords internationaux régulièrement approuvés ou ratifiés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie ». Laquelle Constitution dispose dans son préambule que « l’Etat assure la protection des minorités et préserve les droits des populations autochtones conformément à la loi » ; et que « la liberté et la sécurité sont garanties à chaque individu dans le respect des droits d’autrui et de l’intérêt supérieur de l’Etat ».

L’Etat interpellé dans son devoir de protection

Au banc des accusés, on se défend : « C’est un problème qui est pris à bras le corps par la hiérarchie au plus haut niveau », assure le sous-préfet de Campo. « Même au niveau régional, l’année dernière, monsieur le gouverneur avait organisé des réunions dans ce sens avec les populations et les agro-industries pour trouver des mécanismes de sortie de cette difficulté», indique-t-il. Au niveau local, « nous avons déjà circonscrit la zone de passage de ces éléphants, et avec un certain nombre de responsables, nous avons évalué la difficulté et envisagé un certain nombre de solutions», se félicite-t-il. « Nous sommes en train d’engager la phase concrète de recherche des solutions….nous voulons rassurer les populations pour qu’elles comprennent que nous voulons engager une administration de proximité pour régler les difficultés auxquelles elles sont confrontées », poursuit l’autorité administrative.

En clair, on en est aux pourparlers, alors que, les populations broient du noir et exigent des compensations financières ou d’être délogées : « Qu’on nous déloge comme on l’a fait avec les gens de Nyabizan. Ou bien nous cultivons et à la fin du mois l’Etat nous paie un salaire pour nous nourrir, comme ça on sait qu’on cultive pour leurs éléphants», propose Judith Ondo. « Tout se passe en fonction des lois qui existent, des contextes et même de la situation du pays. Je pense que des solutions vont être trouvées ; si ce sont des compensations environnementales ou financières, on va les adopter », réagit le conservateur. Pour autant, « rien n’est exclu », rassure-t-il. C’est que, « dans la loi forestière, on n’avait pas prévu de compensation dans les conflits hommes-faune, parce qu’on a considéré les conflits hommes-faune comme des catastrophes naturelles, or ce n’est pas le ministère des forêts qui gère les catastrophes naturelles, mais le ministre de l’Administration territoriale », explique-t-il.

Lindovi Ndjio, avec Jade