Non délivrance des Cartes nationales d’identité. Prorogation de l’illégalité dans les commissariats camerounais

Non délivrance des Cartes nationales d’identité. Prorogation de l’illégalité dans les commissariats camerounais

Plus de trois millions de personnes seraient privés de leur pièce d’identité au Cameroun alors qu’ils en ont fait la demande et plus  245 000 cartes régulièrement établis  sont en attente de retrait.

Le porteur du titre d’identité provisoire  N° Ce 0310… s’est rendu au commissariat de Nkoldongo à Yaoundé en date du 31 Aout 2022 pour le retrait de l’original de sa pièce d’identité. Un document qui  conformément au délai prescrit par  le devrait /2016/ 476 du 04 aout 2016  devrait être disponible trois mois après. Il est  « éventuellement renouvelable une fois ». Mais hélas, ce citoyen en quête du document usuel qui matérialise sa nationalité camerounaise  est rentré bredouille. Seule consolation à son actif, l’officier de police responsable du poste d’identification a prorogé son titre d’identification provisoire communément appelé « récépissé » pour  une validité qui durera jusqu’au 16 septembre 2022. Ayant attiré l’attention de l’officier de police sur les exigences du décret qui fixent la validité de la pièce d’identité provisoire à une durée maximale de six mois, il s’est vu répondre : « Ca va aller…C’est moi qui a signé.» Mais dans ce pays confronté à de multiples crises sécuritaires et où les contrôles se sont multipliés, ces explications ont du mal à passer.

Contrairement à ce citoyen qui,  docilement, a repris le chemin retour avait un récépissé prorogé en violation des dispositions textuelles, Daouda Fondikou a réagi violemment  courant ce mois d’octobre 2022 pour dénoncer cette pratique aussi en vigueur au commissariat de sécurité publique de la ville de Foumbot. Selon les informations recoupées par Journalistes en Afrique pour le développement(Jade),  ,sur place, il s’est emporté et a saccagé le mobilier de cette unité de police. Neutralisé et molesté par les policiers, il a jeté en cellule puis conduit quelques jours après à la division régionale de la police judiciaire de l’Ouest à Bafoussam pour des enquêtes préliminaires. Après cette audition, il a été déféré et placé en détention  à la prison secondaire de Foumbot depuis le 14 octobre dernier.

 Un autre point de tension chez des milliers de citoyens

En rappel,  Foundikou Daouda dont les images ont fait le tour des réseaux sociaux en début de cette semaine, s’est rendu au commissariat de Foumbot pour le retrait de sa carte nationale d’identité. Cependant, l’officier en service ce jour-là, lui a dit qu’elle n’était toujours pas disponible. Ayant perdu le contrôle de soi, il est entré dans une colère noire et a saccagé le commissariat. On apprend que ça faisait déjà trois années qu’il attendait d’entrer en possession de sa Carte nationale d’identité. «Ce citoyen n’a pas sciemment  attaqué la police ou les services de l’Etat comme certains essaient de le présenter. Regarder son geste comme une défiance à l’autorité de l’État, relève de la malhonnêteté intellectuelle et de la mauvaise foi. Il n’est pas allé au commissariat pour détruire le mobilier et tout saccager…», explique Me Christian Ntimbane Bomo sur son compte facebook.

Le  commissariat du 8e arrondissement de la ville de Douala constitue un autre point de tension chez des milliers de citoyens camerounais qui depuis des années veulent entrer en possession de leur Cni. L’ambiance furieuse  des centaines de personnes qui s’y impatientent chaque jour pour entrer en possession de leur Cni fait partie du décor du lundi au vendredi. Ils se plaignent des déplacements couteux de leur domicile pour le suivi de la disponibilité ou pas de cette pièce. La  solution  prévue par la Délégation générale à la sureté nationale, celle du suivi des cartes via WhatsApp, dans le but d’éviter les déplacements inutiles et les dépenses coûteuses aux usagers, ne convainc pas.

Une certaine opinion laisse croire que les fonctionnaires de police ont organisé un système pour se faire payer des pots de vins question de faciliter l’obtention rapide de la Cni aux plus offrants. Du côté de la délégation régionale de la Sureté nationale de l’Ouest à Bafoussam, sous anonymat, un commissaire dément cette allégation. Selon lui, il faudrait envoyer les informations contenues sur le récépissé à l’ensemble des cinq numéros à la fois. Cela permet, qu’en cas de saturation du réseau, le requérant peut avoir la chance que sa requête tombe sur au moins deux des cinq numéros. Cette source affirme qu’il soit possible qu’un duplicata soit établie pour un récépissé encore lisible et valide. Pour un récépissé, illisible, le commissaire de police recommande la reprise du processus d’identification en déboursant la somme de 2800 Fcfa.  

Une autre  source policière en service dans un commissariat de la ville de Douala, affirme que  seules les personnes ayant un problème dans leurs dossiers n’obtiennent pas l’original de leurs CNI à temps. Ces problèmes, énumèrent-on,  sont principalement la double identité, les erreurs dans l’écriture des noms, des dates de naissance erronées. Pour les personnes ayant auparavant établi une carte, les informations communiquées pour l’établissement de la nouvelle carte doivent correspondre à celles contenues sur l’ancienne carte, sinon la nouvelle pièce d’identité ne sortira jamais.

Au cours d’une conférence de presse tenue à ce sujet, Dominique Baya, le secrétaire général de la Délégation générale à la sûreté nationale  (DGSN), s’est employé à expliciter les raisons des retards et pénuries observés dans la délivrance des cartes nationales d’identité. Il a notamment dénoncé les détenteurs de multiples identités, qui refuseraient « de faire valider leur identité authentique, car ils ont développé d’autres avantages avec celles-là ». Selon la DGSN, plus de trois millions de personnes seraient dans ce cas et plus de 245 000 cartes sont en attente de retrait. La technologie déployée par l’opérateur Gemalto (devenu Thales après son rachat), de nombreux centres de production ont rencontré des problèmes techniques et le remplacement de leur matériel défectueux a pris du temps. Résultat : une sous-production qui a provoqué un ralentissement des opérations.

Face aux plaintes des usagers, qui font face à de réelles difficultés, la DGSN a néanmoins entrepris – avec les administrations impliquées dans le processus de sécurisation de la nationalité camerounaise, tel le ministère de la Justice –, la mise en place d’un comité chargé d’examiner la situation des personnes soupçonnées d’avoir plusieurs identités, afin de faciliter la production de leur titre.

La loi fait obligation à tout citoyen de présenter sa CNI à toute réquisition

Il est constant que les autorités camerounaises ont procédé courant 2016 à une refonte totale du système d’identification et de fabrication des nouveaux titres dans le but de renforcer la sécurité sur le territoire, en luttant en particulier contre l’usurpation d’identité et la fraude documentaire.

Seulement, l’opération – qui avait bien démarré avec la mise en circulation de cartes biométriques comportant des photos couleur au laser – a vite affiché quelques défaillances. Elles affectent les citoyens non titualires des Cni. Non seulement, ils ne peuvent pas effectuer certaines operations bancaires et autres formalités liées à la jouissance des droits civils et politiques, mais ils pourraient l’objet de racket de la part des gendarmes et policiers chargés du contrôle routier sur les routes camerounaises. Et ils risquent même des peines de prison. Car, au Cameroun,  la Carte Nationale d’Identité comme tout document administratif ou officiel, est encadrée par une réglementation dont l’inobservation expose les auteurs à des sanctions pénales. Le défaut de Carte Nationale d’Identité, encore appelé non possession de carte nationale d’identité, est une infraction punie par la Loi n° 90/042 du 19 décembre 1990, en son article 5, instituant la Carte Nationale d’Identité. Les peines vont de 3 mois à 1 an d’emprisonnement et 50.000 à 100.000 FCFA d’amende.

En rappel, la loi fait obligation à tout citoyen de présenter sa CNI à toute réquisition. Son refus est une infraction réprimée par la même Loi 90 en son article 2. Cette Loi n’édicte aucune peine mais en cas de refus ou de non présentation l’article R370, alinéa 12, du Code Pénal, punit les auteurs d’un emprisonnement de 5 à 10 jours et d’une amende de 4000 à 25000 FCFA. Si par contre, annonce la Délégation générale à la sureté nationale,  lors des différentes réquisitions des Forces de Maintien de l’Ordre, vous avez votre carte Nationale d’identité conforme et vous êtes abusés, composez le numéro gratuit 1500. Un appel pour lequel, il faudrait insister plusieurs fois, selon les sources policières. Mais jusqu’à présent la société civile ne désarme et envisage les possibilités de mettre sous pression ou de poursuivre l’Etat du Cameroun devant le juge administratif ou les juridictions internationales pour non délivrance de pièce d’identité, preuve substantielle de la nationalité et instrument qui permet de jouir de plusieurs droits et libertés.

 Charlie Tchikanda , Directeur exécutif de la Ligue des droits et des libertés dénonce aussi cette maltraitance que subissent les camerounais en quête d’un document dont l’absence fragilise leur droit à la libre circulation dans leur propre pays et autres droits et libertés fondamentales tels le droit au travail et le droit à l’éducation. Ce militant rappelle que le  droit de chacun à une nationalité est énoncé à l’article 15 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et reconnu dans nombre d’autres instruments internationaux et régionaux relatifs aux droits de l’homme . La nature fondamentale du droit à une nationalité et l’interdiction de la privation arbitraire de la nationalité ont été réaffirmées par l’Assemblée générale dans sa résolution 50/152 et par le Conseil des droits de l’homme dans ses résolutions 7/10, 10/13, 13/2, 20/5 et 26/14.

Guy Modeste DZUDIE(Jade)