Ngaoundéré. Six candidats malentendants programmés pour échouer au Bepc

Ngaoundéré. Six candidats malentendants programmés pour échouer au Bepc

Aucune disposition particulière prise pour les enfants vivant avec ce handicap

L’année dernière, la ville de Ngaoundéré a présenté trois candidats malentendants au Bepc pour un taux de réussite de 0%. Cette année, avec beaucoup d’effort de leurs encadreurs auprès des parents, les mêmes candidats sont revenus plus trois autres. Ces enfants ont composé dans les mêmes conditions que l’année dernière.

 « Je vais vous prendre un seul petit exemple. Lorsque vous faites composer un enfant sourd-muet dans une même salle que les enfants normaux, quand l’enseignant lit la dictée comme l’année dernière, le sourd-muet, lui, il fait comment ? A la fin il remet une copie vierge, car avec cette catégorie de candidats, c’est le langage des signes. Même leur dictée ne se lit pas de la même manière, chez eux c’est par syllabe. Et même jusque-là, lors de la correction il faut un enseignant approprié pour corriger leurs copies, car si c’est un enseignant ordinaire, il ne comprendra pas beaucoup de chose et va certainement considérer le candidat comme un cancre. Il faut ajouter à cela le fait que ces enfants n’ont pas la même faculté de compréhension que les autres ; donc il leur faut un peu plus de temps », témoigne Jean Blaise Noupeye Meulikwo, secrétaire général de l’association Handicare qui encadre des enfants handicapés dans la ville de Ngaoundéré.

Du côté de la délégation régionale des enseignements secondaires de l’Adamaoua, on brandit le côté de l’éducation inclusive. « Aujourd’hui on parle de l’éducation inclusive. L’enseignement de ces enfants se fait dans les mêmes salles que celles des enfants ordinaires. Le seul souci que nous avons est au niveau de la correction orthographique. En ce qui concerne les mathématiques et autres, ces candidats lisent normalement. Vous comprenez qu’avec ça, il est difficile de mettre ces enfants dans des conditions exceptionnelles. On ne saurait non plus leur accorder plus de temps qu’aux autres candidats, car dans ce cas on ne parlera plus d’examen officiel. Que les gens ne trouvent pas des prétextes à l’échec de ces candidats, car même les candidats ordinaires ont aussi échoué l’année dernière », martèle Mohamadou Nourroudini, sous-directeur des examens et concours à la délégation régionale des enseignements secondaires de l’Adamaoua. 

La loi prône des mesures adaptées

Pourtant, dans l’article 24-1b de la convention relative aux droits des personnes handicapées à l’éducation, il est écrit que les Etats parties doivent assurer « l’épanouissement de la personnalité des personnes handicapées, de leurs talents et de leur créativité ainsi que de leurs aptitudes mentales et physiques, dans toute la mesure de leurs potentialités ». En même temps, l’article 16-3i du protocole à la charte africaine relatif aux droits des personnes handicapées (ratifiée par le Cameroun en décembre 2021) semble être encore plus explicite. « Les Etats parties prennent des mesures raisonnables, appropriées et efficaces pour assurer une éducation complète et de qualité pour les personnes handicapées, y compris en formant les professionnels de l’éducation, y compris les personnes handicapées, sur la manière d’éduquer et d’interagir avec les enfants ayant des besoins d’apprentissage spécifiques », peut-on lire. Pour le cas de ces six candidats autistes qui ont composé le Bepc à Ngaoundéré, aucun enseignant spécialisé pour ces candidats n’était présent en salle, et, il en sera de même pour les corrections des épreuves.

Interview

« Nous avons vécu un événement douloureux l’année dernière »

Bénédicte Venance Mope, professeure spécialisée pour déficients auditifs, Présidente d’Handicare

Lorsqu’on parle d’un enfant malentendant, à quoi cela renvoie ?

Un déficient auditif est toute personne atteinte de l’altération ou de la perte totale de l’acuité auditive. Plus simplement, il y a les malentendants et ceux qui n’entendent pas (sourds).

Quelle a été votre motivation pour cette branche d’enseignement ?

Ma motivation principale c’est l’amour que j’ai pour cette catégorie de personnes. J’aime particulièrement les personnes handicapées, les personnes vulnérables et rejetées par la société. Cela ne s’explique pas mais c’est comme ça. C’est l’expression du cœur. Ils sont mes meilleurs amis. Ils ne peuvent pas me donner de l’argent ou du matériel, mais ils me procurent assez de joie.

Quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans ce corps de métier ?

L’éducation spécialisée et l’éducation inclusive ont certaines particularités qu’on ne retrouve pas dans l’éducation ordinaire, du fait que les programmes officiels, les livres, les méthodes d’évaluation par exemple ne sont pas adaptés à nos cibles. Ceci rend la tâche assez difficile aux enseignants spécialisés. Nous nous sommes rendu compte que plusieurs de nos responsables du monde de l’éducation ne sont pas assez sensibilisés sur ce type d’éducation. Ils ignorent même les lois qui protègent les élèves vivant avec un handicap en matière d’éducation. Nous ne sommes pas souvent compris par nos autorités lorsque nous estimons que les droits de ces élèves sont bafoués particulièrement dans la région de l’Adamaoua.

Parlez-nous de votre association…

Handicare est une association qui a son siège à Ngaoundéré dans la région de l’Adamaoua. Notre objectif est de promouvoir le bien-être et l’épanouissement socioprofessionnelle des personnes vivant avec un handicap.

Nous luttons contre la marginalisation des personnes vivant avec un handicap, nous contribuons à leur prise en charge psychosociale et médicale, nous contribuons à leur émancipation, nous faisons la promotion de leurs droits. Comme activités dans notre centre, nous avons le « counseling », le sport et loisir, l’alphabétisation, la sensibilisation, et des formations diverses (couture, broderie, pâtisserie, cuisine, informatique, art, etc…)

L’année dernière, vous avez présenté des candidats autistes au Bepc à Ngaoundéré qui ont malheureusement tous échoués à cause « des conditions » dans lesquelles ces enfants ont composé. Comment avez-vous vécu cela ?

C’était un évènement assez douloureux que nous avons vécu l’année dernière. Ma douleur a été triple. J’ai vécu cela en tant que parent, en tant qu’enseignante spécialisée, en tant que travailleuse sociale. Ces élèves étaient les tout premiers candidats nés sourds à présenter le Bepc dans la région de l’Adamaoua. Les gens ne se rendent pas compte des sacrifices consentis pour que ces enfants arrivent à ce niveau. Ils ont été victimes d’une injustice criarde ; ils se sont retrouvés dans les mêmes salles que les candidats valides alors qu’ils avaient droit à une salle spéciale ; ils n’ont pas eu d’interprète ; ils ont eu le même temps de composition que les candidats valides ; leurs copies ont été mélangées à celle des valides ; aucun enseignant spécialisé n’a été convoqué à la correction. Vous comprenez que ceci implique qu’on n’a pas tenu compte de l’approche handicap à la délibération. Pouvez-vous imaginer des enfants qui échouent avant d’avoir composé parce que leurs droits ont été bafoués ? L’Etat a pourtant prévu des dispositions particulières pour eux. C’est vraiment triste.

Il convient de souligner que ces candidats n’étaient en aucun cas une surprise, car pendant le dépôt des dossiers il était bien mentionné que c’était des déficients auditifs. Sur la liste définitive, il y avait cette précision devant les noms. Malgré toutes les explications que nous avons données aux responsables, rien n-a été pris en considération.

Est-ce que pour cette année 2022, vous avez constaté un changement dans l’organisation du Bepc en ce qui concerne vos candidats ? Si je vous dis oui, c’est que je vous ai menti. Rien n’a changé et nous nous attendons au même résultat que l’année dernière à savoir l’échec de nos enfants. J’ai vraiment mal lorsque je le dis.

Par Francis Eboa (Jade)