Nanga Eboko : Assassinat sauvage de 6 membres d’une même famille

Nanga Eboko : Assassinat sauvage de 6 membres d’une même famille

La police semble s’activer pour retrouver l’auteur ou les auteurs de l’acte crapuleux qui a plongé toute une famille dans la consternation et toute une ville dans l’effroi.

Qui a tué Vanessa Youbi Kamga, 31 ans, ses trois enfants, sa petite sœur et sa cousine à Nanga Eboko (quartier Nkod Nnam), dans le département de la Haute-Sanaga, région du Centre ? Depuis le 6 avril 2023, date de la découverte  de l’assassinat de la commerçante du marché de la ville et de sa famille, les autorités locales, la gendarmerie et la police sont à la recherche du ou des meurtriers.

Les premiers résultats du déploiement des éléments de la commission mixte- conjointe police-gendarmerie sous la houlette du Procureur de la République près les Tribunaux d’instance de Nanga Eboko ont  permis d’appréhender quatre suspects, tous en exploitation dans la  ville où a été commis le crime. Le premier est  l’ancien concubin de Vanessa interpellé à Yaoundé. Cependant  l’exploitation  de celui qui aura passé cinq années avec la défunte ainsi que les indices réunis des assassinats n’ont pas permis formellement de lui attribuer les faits, d’après certains informateurs proches du dossier.

On apprend plutôt que cet homme, installé à Yaoundé, a été victime d’un accident deux semaines plus tôt et que sa cheville est en soin. Très tôt suspecté d’être l’auteur des assassinats, notamment à la suite des dires de la tante de Vanessa Youbi Kamga, ce père d’un des enfants de la commerçante semble n’avoir pas mis à exécution des menaces qu’il aurait proférées. Les deux anciens concubins étaient en justice dans le cadre d’une procédure quant à l’obtention du droit de conserver la maison qu’ils ont construite ensemble.

Le 11 avril 2023, on apprend des confrères de Naja TV qu’un second  suspect a été arrêté à Yaoundé. « Un commerçant nigérian de 32 ans est le nouveau suspect de l’assassinat des 6 de Nanga Eboko. Il est en exploitation à la Direction régionale de la Police judiciaire du Centre », écrit Brand Kamga sur sa page Facebook. On apprend dans la foulée que ce Nigérian, amant de Vanessa Youbi et résidant à Nanga Eboko, bénéficiant de la  présomption d’innocence, présenterait des traces de la salle besogne. Des blessures causées par une « arme blanche », font-ils savoir, apparaissent sur l’une de ses mains. C’est l’exploitation du téléphone de la défunte mère de famille [trois autres téléphones ont été retrouvés] qui a permis son interpellation, affirme les confrères de Canal 2. Plus loin, on apprend que le concerné n’aurait pas agi seul.

Enfin, rien n’a filtré sur la situation des deux autres personnes qui ont également été interpellées par l’équipe mixte d’enquêteurs police-gendarmerie pilotée par le Procureur de la République conformément à l’article 82 du Code pénal camerounais qui prévoit justement que « la police judiciaire est chargée de constater les infractions, d’en assembler les preuves, d’en rechercher les auteurs et complices et, le cas échéant de les déférer au parquet ».

Gestion et exploitation des indices

En attendant d’avoir plus de détails, les experts de la police scientifique sont à pied d’œuvre. Ils sont allés soutenir la police locale qui bénéficie déjà du soutien de la préfectorale. Dès sa descente sur les lieux du crime, la police scientifique a passé au scanner le site : salle de séjour, toilettes, chambres, couloir, escalier, etc. Des indices ont été collectés tel que le prescrit l’article 104 (2) du Code de procédure pénale : « l’officier de police judiciaire se transporte sans délai sur le lieu du crime et procède à toutes diligences utiles ». Et c’est dans cette optique que, à quelques mètres du domicile des victimes, le téléphone de Vanessa Youbi Kamga été retrouvé dans la broussaille. Son exploitation a permis aux enquêteurs d’envisager d’autres pistes pour ce qui est des éventuels auteurs de la boucherie de Nanga Eboko.

Cependant, malgré l’ampleur du drame, le site n’a pas été mis sous scellés, ni suffisamment sécurisé, comme on peut le voir à travers la présence de la famille dans la cour de la maison et le tour effectué dans les locaux par les journalistes et d’autres personnes. D’autres images montrent que le domicile a été fréquenté par plusieurs personnes au lendemain du crime. Or, dans cette même disposition, en son point (c), il est dit que l’officier de police judiciaire doit « veiller à la conservation des indices et tout ce qui peut servir à la manifestation de la vérité ». L’état dans lequel se trouvait la maison au moment de l’infraction est tel que l’on pourrait encore avoir besoin d’une nouvelle piste de recherche en matière d’indices. Encore que jusqu’ici, on n’a aucune idée des méthodes de collecte des indices en dehors du fait que l’équipe mixte était sur les lieux du crime.

Au regard de ces détails, certains observateurs estiment qu’il aurait mieux valu protéger le domicile au lieu de laisser certaines personnes y accéder pour récupérer certains objets comme l’indique l’article 105 du Code de procédure pénale : « Les objets qui ne sont pas utiles à la manifestation de la vérité sont, après accord écrit du Procureur de la République, restitués par l’officier de police judiciaire, contre décharge et sur procès-verbal, à leur propriétaire ou à toute personne chez qui ils ont été saisis ». Par ailleurs, la présence de la police scientifique laisse planer l’hypothèse du recours à des tests ADN qui sont capitales dans de telles circonstances. (lire encadré)

Crimes sous silence

Le mal a été fait. Des indices ont été collectés. On a déjà des suspects. Mais on se demande encore comment la mort a pu frapper  ces six personnes sans que personne dans le  voisinage n’ait rien entendu ni rien vu?

Le premier constat qui se dégage est que la maison de Vanessa Youbi Kamga, entourée d’une barrière, est à bonne distance des autres habitations de part et d’autre, et ne bénéficie pas d’éclairage public. Elle est isolée au milieu de broussailles et d’arbustes. Ce qui aurait permis aux malfaiteurs d’opérer  sans encombre.

Cette situation s’explique par l’urbanisation en pleine mutation de la ville. C’est de la responsabilité des autorités administratives locales de mieux aménager les rues et les carrefours , et de contrôler  l’octroi des permis de bâtir. L’une des solutions pour éviter les agressions serait par exemple d’assurer la qualité de l’éclairage public dans certaines zones de la localité. Selon le plan communal de développement (PCD) de la Commune de 2014, « des résultats des diagnostics participatifs conduits tant au niveau de l’institution communale, de l’espace urbain communal que dans les villages révèlent que les problèmes que rencontre la Commune de Nanga-Eboko  sont » entre autres « l’accès difficile à l’énergie électrique, la précarité de l’habitat, l’accès difficile aux services sociaux de base ». La Commune avait arrêté ce PCD en optant pour la mise en œuvre de « 287 projets dans l’ensemble des secteurs pour un montant total de 47 571 810 000 FCFA » car l’Etat, dans le préambule de la Constitution, s’est engagé à  « assurer le bien-être de tous en relevant le niveau de vie des populations sans aucune discrimination », tout en rappelant que « l’être humain, sans distinction de race, de religion, de sexe, de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés ».

L’autre argument qui semble expliquer le caractère « silencieux » de ces assassinats, c’est l’heure. Ils auraient  été perpétrés la veille ou tôt le matin du 6 avril 2023. Les malfrats, d’après les premiers indices, seraient passés par le plafond situé au dessus de la véranda pour se retrouver à l’intérieur du domicile.

C’est l’absence de la  commerçante au marché et la visite imprévue d’une de ses amies qui sont à l’origine de la découverte macabre aux alentours de 17 heures.

Au fur et à mesure qu’évolue l’enquête, tout porte à croire que le décès tragique de Mme Youbi et des membres de sa famille aurait un lien avec sa vie sentimentale. Mais la piste de l’ex-concubin est quasiment écartée. Il reste celle du Nigérian, dont on vient d’apprendre le suicide à Yaoundé.

Lutte contre les féminicides

Les défenseurs des droits humains sont déjà montés aux créneaux pour dénoncer  ce crime en particulier et les féminicides d’une manière générale. Au Cameroun, les statistiques sont alarmantes bien que le pays dispose d’un véritable arsenal juridique et des infrastructures qui essaient d’encadrer les femmes victimes de violence. Rien que pour le début de l’année 2023, on a déjà enregistré sept décès de femmes des suites de violences. Pour l’année 2020, l’Institut national de la statistique (Ins), dans sa note de politique intitulée  « Violences basées sur le genre au Cameroun : Ampleur et défis », soutient que 54% de femmes en union sont victimes de violence dont 35% dans le Centre. 8% de femmes enceintes en milieu rural contre 5% dans les villes sont concernées.

L’organisation non gouvernementale Sourires de femmes  alancé un appel aux victimes: « Ne vous taisez jamais face à la violence! ». Mieux, « Ne soyez ni victime ni complice ; en cas de violences, dénoncez ou contactez nous ». Viviane Tathi de l’Ong dénonce d’ailleurs avec énergie « cette déshumanisation des femmes et filles camerounaises qui doit cesser » surtout que  la Constitution du pays « affirme son attachement aux libertés fondamentales inscrites dans la déclaration universelle des Droits de l’Homme, la charte des Nations-Unies, la charte africaine des droits de l’homme et des peuples et toutes les conventions internationales y relatives et dûment ratifiées ». A ce titre, le texte insiste sur le fait que « toute personne a droit à la vie et à l’intégrité physique et morale » et que « la nation protège et encourage la famille, base naturelle de la société humaine. Elle protège la femme, les jeunes, les personnes âgées et les personnes handicapées » tout comme « l’Etat assure à l’enfant le droit à l’instruction ».

Plus loin, l’actrice de la société civile revient à la charge :  « l’Etat doit mieux nous protéger en traquant ces criminels », soutient-elle. La militante des droits de la femme remet en lumière les engagements de l’Etat aux niveaux national et international. Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels auquel le Cameroun est partie, dans son article 10, rappelle à l’endroit des États qu’ils ont une obligation de sécurité : « une protection spéciale doit être accordée aux mères pendant une période de temps raisonnable avant et après la naissance des enfants ».

Hervé Ndombong, JADE

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A quoi sert la recherche d’ADN

L’agence INTERPOL précise  que « L’ADN peut jouer un rôle crucial dans la condamnation – ou la disculpation – de personnes suspectées d’infractions et il permet également d’identifier des personnes disparues ». Comment ça marche ? L’organisation internationale de police criminelle indique à ce propos que « 

(1) les molécules d’acide désoxyribonucléique (ADN) contiennent les informations nécessaires au fonctionnement de toutes les cellules vivantes du corps humain. Hormis dans le cas de vrais jumeaux, l’ADN de chaque personne est unique.(…).

(2) Les échantillons prélevés sur les scènes de crime ou sur les suspects, habituellement à partir du sang, des cheveux ou des fluides corporels, sont analysés, ce qui permet d’établir un profil d’ADN et de le comparer aux autres profils génétiques enregistrés dans une base de données.

(3) Ainsi, il est possible d’obtenir des concordances signalées – c’est-à-dire, des correspondances entre une personne et une scène de crime, entre une scène de crime et une autre ou entre une personne et une autre – lorsqu’aucun lien antérieur n’est connu.

(4) L’ADN permet aussi d’identifier les victimes de catastrophes, de localiser des personnes disparues, et même de trouver l’origine de biens faisant l’objet d’un trafic comme l’ivoire ou le bois. »* Membre des Nations-Unies, l’État du Cameroun est interpellé par la Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes proclamée par l’Assemblée générale de l’institution le 20 décembre 1993 dans sa résolution 48/104.

Dans son préambule, il est clairement mentionné « qu’il est urgent de faire en sorte que les femmes bénéficient universellement des droits et principes consacrant l’égalité, la sécurité, la liberté, l’intégrité et la dignité de tous les êtres humains » dans un contexte où l’article 2 du document précise que « la violence à l’égard des femmes s’entend comme englobant, sans y être limitée, les formes de violence énumérées ci-après :

a) La violence physique, sexuelle et psychologique exercée au sein de la famille, y compris les coups, les sévices sexuels infligés aux enfants de sexe féminin au foyer, les violences liées à la dot, le viol conjugal, les mutilations génitales et autres pratiques traditionnelles préjudiciables à la femme, la violence non conjugale, et la violence liée à l’exploitation ;

b) La violence physique, sexuelle et psychologique exercée au sein de la collectivité, y compris le viol, les sévices sexuels, le harcèlement sexuel et l’intimidation au travail, dans les établissements d’enseignement et ailleurs, le proxénétisme et la prostitution forcée ; c) La violence physique, sexuelle et psychologique perpétrée ou tolérée par l’État, où qu’elle s’exerce. »