Les débordements à l’ouest de la crise anglophone. Cinq gendarmes tués et deux enfants blessés à Njitapon dans le Noun

Les débordements à l’ouest de la crise anglophone. Cinq gendarmes tués et deux enfants blessés à Njitapon dans le Noun

Après l’attaque du poste de contrôle militaire de cette localité, militaires et civils paient un prix fort. La déchirure psychologique est profonde dans la population.

16 heures 55 minutes, ce lundi 20 juin 2022. Une image « désacralisante » se produit sous nos yeux et se fixe dans nos mémoires : des larmes s’écoulent des yeux de Njitapon Kpmoumie Issa, chef du village Njitapon dans le département du Noun, région de l’Ouest Cameroun. Cette localité frontalière à la région du Nord-Ouest, secouée par des affrontements armés entre les soldats gouvernementaux camerounais et les groupes séparatistes armés communément appelés « ambazoniens », a été, en moins de deux semaines, le théâtre de scènes de violences qui ont provoqué la mort de cinq gendarmes et blessé plusieurs personnes dont deux mineurs, le 18 juin dernier. Abidin, 10 ans, et son cadet frère cadet, Assan, 05 ans, ont été victimes de brûlures au 3e degré, selon des sources médicales, suite à l’explosion d’une grenade dans la cour de leur maison familiale située au quartier Mafonka, à moins de 700 mètres de la région du Nord-Ouest. Les deux enfants brûlés, notamment aux jambes, sont soignés à l’hôpital régional de l’Ouest à Bafoussam.

Une mère éplorée : « J’ai perdu le goût de la vie »

L’onde de choc causée par ce drame est palpable et influence négativement la vie des populations de la contrée. La méfiance se lit dans les regards. L’indignation et la peur sont présentes dans toutes les conversations. Les dégâts sur le bâtiment qui hébergeait ces gendarmes sont visibles : des pans entiers de murs ont lâché, les tôles ont sauté…   Chaque habitant préfère rester terré chez lui. Les champs de Maïs  situés des deux cotés de la route en terre qui traversent Njitapon sont vides. Personne ne veut prendre le risque de s’y rendre pour désherber les plantes en voie de maturité. « Je ne peux plus rentrer vivre là-bas. C’est grave. Mes deux enfants ont été brûlés par la grenade devant moi. J’ai vécu la terreur dans la nuit de mardi à mercredi….Des coups de fusil fusaient de partout et déchiraient l’atmosphère. Nous sommes restés enfermés à la maison.

Le matin, nous avons appris la mort du lieutenant et des quatre éléments de la gendarmerie qui séjournaient à côté de notre maison et assuraient notre sécurité à ce poste de contrôle avancé mis sur place par le gouvernement pour éviter que la crise armée qui secoue les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest depuis 2016 n’affecte la région de l’Ouest. Je suis doublement  choquée : la disparition des gendarmes qui s’approvisionnaient dans la boutique de mon mari en denrées alimentaires, jouaient avec mes enfants, tout comme les blessures graves que portent mes deux fils m’ont fait perdre les repères et le goût de la vie. La maison de mon frère qui hébergeait les gendarmes a été détruite », se lamente Nzié Naffissa,

femme âgée de 30 ans,  mère des deux enfants brûlés  et riveraine, à moins de 300 mètres de la maison qui servait de base aux gendarmes tués  dans la nuit du mardi 07 au mercredi 08 juin lors du violent affrontement avec un groupe séparatiste armé. Cette dame fait savoir que les gendarmes qui sont servi à Njitapon, bien avant l’équipe du lieutenant tué, les avaient conseillé sur comment se comporter en zone de guerre. Surtout quand, il y a des détonations. «Les gendarmes nous avaient demandé de rester chez nous quand nous comprenons les détonations d’arme à feu. Ils ne nous ont rien dit sur comment éviter les grenades. Les assaillants sont venus par le Noun. Personne ne pouvaient les voir…Ils sont entrés par lâcheté dans le village. Nous avons vécu l’horreur », explique-t-elle.

L’envoi de renforts

Le lundi 20 juin dernier, jour du  grand  marché périodique de Njitapon, les activités ont repris, « de manière amoindrie », selon le chef du village, Njitapon Kpoumie Issa.  « Nous sommes sous un choc émotionnel. Nous sommes devenus hystériques. C’est dur de perdre des gens avec qui vous avez échangé la veille de leur mort. Au quotidien, je travaille pour que les populations reviennent dans ce village et collaborent avec l’Etat qui assure notre sécurité », indique cette autorité traditionnelle. Près de deux semaines auparavant,  des combattants séparatistes anglophones ont pris d’assaut un poste de contrôle de l’armée camerounaise avec des fusils, des bombes et des lance-roquettes, le détruisant et tuant cinq soldats et en blessant six. Selon un porte-parole de l’armée, dans leur avancée les rebelles ont volé des armes.

A la suite de cette attaque l’armée camerounaise a indiqué le 9 juin 2022, qu’elle a déployé une centaine de soldats supplémentaires dans le village francophone, afin de renforcer l’effectif en place et de mieux assurer la protection des populations. Mais une question taraude les esprits : pourquoi les renforts alertés par le chef du village  ne sont pas arrivés à temps pour secourir les gendarmes tués ?  Des responsables du gouvernement  camerounais ont déclaré que les rebelles avaient traversé le lac Mbissa dans des bateaux volés à Bambalang, une ville anglophone du nord-ouest. Le gouverneur de la région, Awah Fonka Augustine, a déclaré que des dizaines de pêcheurs et de villageois avaient fui le village, qui semblait vide. Sous l’impulsion du chef de ce village, les populations reviennent progressivement.

« Il est inacceptable que des gens [séparatistes] entrent et commettent ce type d’atrocités sans que les villageois collaborent avec les forces militaires pour y mettre fin. Nous leur demandons de s’asseoir et de comprendre que des comités de vigilance doivent être réactivés, et ces milices devraient travailler en étroite collaboration avec les forces de l’ordre afin que nous puissions mettre fin à ces atrocités et à ces pertes de vies humaines dans notre région », explique  le gouverneur de la région de l’Ouest. Mais le fait que les assaillants soient passés par le fleuve Noun est, selon certains habitants, la raison qui a permis qu’ils soient passés inaperçus.

Jusqu’à présent personne ne comprends  le pourquoi les éléments du batillons des troupes aéroportés de Koutaba ne sont pas arrivés à Njitapon à temps, surtout que dans la nuit du 07 au 08 juin dernier les affrontements sont allés de 20 heures à 3 heures du matin ? Selon des sources , des enquêtes sont entrain d’être menées pour déterminer les circonstances exactes de ce drame en vue d’établir les responsabilités des uns et des autres afin que les éventuels coupables soient traduits devant un tribunal et sanctionner. Reste que les avis sont partagés quand à la nature des relations que les gendarmes tués ou gravement blessés entretenaient avec les populations. Pour les uns, à l’instar du chef du village,  elles étaient cordiales et fraternelles. Pour les autres, notamment ce jeune d’environ 25 ans, l’implication des gendarmes dans certaines « activités de divertissement » leur aurait valu des inimitiés dans le coin.

Plus de 3 300 morts depuis le début de la crise

Le gouvernement affirme que les rebelles ont lancé au moins 40 incursions meurtrières depuis la région de l’Ouest depuis le début du conflit en 2017. Les séparatistes anglophones prétendent protéger la minorité anglophone du Cameroun de la domination francophone. L’ONU affirme que le conflit a coûté la vie à plus de 3 300 personnes au Cameroun et déplacé plus de 750 000.La Ligue Internationale des Femmes pour la Paix et la Liberté (WILPF), pilotée au Cameroun par Jacqueline Sylvie Ndongmo, estime que depuis le début de ce conflit, l’Etat du Cameroun brille par un non respect des dispositions du droit international humanitaire et relatives à la protection des populations civiles en temps de guerre, surtout lorsqu’il s’agit d’un conflit armé non international.

Cette organisation appelle au respect du protocole additionnel de la Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, notamment de son Titre II qui traite de la « Protection générale des populations contre certains effets de la guerre ». Cette organisation brandit, en plus de l’article 6 du pacte international sur les droits civils et politiques qui garantit le droit à la vie,  l’article dudit texte qui exige une protection spéciale pour « les blessés et les malades, combattants ou non-combattants » et « les personnes civiles qui ne participent pas aux hostilités et qui ne se livrent à aucun travail de caractère militaire pendant leur séjour dans ces zones. »  

Guy Modeste DZUDIE(JADE), à Njitapon