Le journaliste Paul Chouta trois fois agressé. Les bourreaux courent toujours

Le journaliste Paul Chouta trois fois agressé. Les bourreaux courent toujours

Après sa sortie de l’hôpital ces jours-ci, l’infortuné n’a aucun espoir. Sa sécurité n’est pas assurée. Et l’enquête ouverte par la gendarmerie n’avance pas.

Paul Chouta, cyber journaliste, connaît une visibilité brouillée sur la toile depuis quelques semaines.  Travaillant pour la rédaction de Cameroun web et ayant  collaboré au site d’information en ligne le Quatrième pouvoir comme lanceur d’alerte sur les réseaux sociaux à travers sa page Facebook, il n’a pas produit une ligne pour « lâcher des scoops » ou  « dénoncer », comme à son habitude, «les dérives »  de la société  camerounaise. Au contraire, c’est à son sujet que ses confrères cyber journalistes ou lanceurs d’alerte, à l’instar de Michel Mbieng Tong, un ancien pensionnaire de la prison logée au sein  du Secrétariat à la défense (Sed), ont consacré des lignes de leurs articles pour  informer l’opinion que « Paul Chouta a été, selon les défenseurs des droits humains, enlevé dans la nuit du 09 au 10 mars dernier et conduit vers l’aéroport de Nsimalen à bord d’un véhicule de marque Mercedes. Ses ravisseurs l’ont copieusement roué de coups de poing, avant de l’abandonner au bord de la chaussée dans un état critique ».

Ils ont de l’argent et le pouvoir de nuire…

Mis sous soins intensifs dans une formation sanitaire du côté de Yaoundé, l’infortuné a retrouvé son domicile quelques jours plus tard. Une  plainte a été déposée par ses avocats  auprès des autorités compétentes. Les enquêtes ont été ouvertes par le commandant de la brigade de gendarmerie de Nsiméon à Yaoundé. « J’ai produit un dossier médical. On attend de  voir ce que cela va donner… », annonce Paul Chouta, joint au téléphone par nos soins juste après sa sortie de l’hôpital. Il n’est pas optimiste et se dit que,  comme bon de journalistes victimes d’abus, les enquêtes ouvertes ne connaîtront jamais de suite… D’autant que c’est la troisième fois qu’il est agressé sans qu’une solution n’ait abouti.

Incarcéré il y a quelques années pour avoir porté atteinte à l’honneur d’un membre du gouvernement, Michel Mombio, journaliste basé à Bafoussam et patron du journal L’Ouest Républicain, est de ceux qui pensent que « dans ce pays, il sera difficile pour un journaliste d’avoir gain de cause lorsqu’il est en procès contre un baron du régime ou un ponte du parti au pouvoir le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc) .» « Ils ont de l’argent et le pouvoir de nuire à ceux qui gênent leurs intérêts. J’ai passé plus d’une année de ma vie en prison pour une affaire de diffamation, juste parce que mon adversaire en face était membre du gouvernement en fonction. Ce statut confère une certaine immunité voire impunité non écrite », souligne-t-il.

Une situation qui rend davantage le journaliste Camerounais vulnérable lorsqu’il a affaire à la justice ou quand il est victime d’une agression. Les principaux syndicats de la presse au Cameroun semblent ne pas consacrer de nombreuses rubriques de leurs activités à la défense de la liberté de la presse et à l’indépendance du journaliste. Même le Syndicat national des journalistes du Cameroun (Snjc) n’est plus porté à la défense, de manière  spontanée et générale,  des droits des journalistes camerounais. Selon Charles Nforgang, le secrétaire national à la Communication et aux alertes, le Snjc n’accorde sa solidarité qu’ « aux journalistes membres du syndicat et à jour de leur cotisation ». 

Les atrocités subies  

Reste que la nouvelle de l’agression de Paul Chouta suscite une vague d’indignation auprès des leaders d’opinion et quelques militants politiques. Président du regroupement des médias citoyens, une organisation basée à Bafoussam, Gustave Flaubert Nkengne, n’a jamais manqué de manifester sa solidarité à l’endroit de Paul Chouta, chaque fois qu’il est attaqué. « Paul Chouta est visé à cause de sa position éditoriale. Il dénonce ceux qui s’attaquent à la démocratie. Il n’est pas compromis comme bon nombre de journalistes camerounais », explique-t-il. Des leaders d’opinion se trouvent sur la même longueur d’ondes que ce patron de presse.

Ils condamnent, avec fermeté, les atrocités subies par le cyber journaliste. « Sous réserve du résultat des enquêtes crédibles et urgentes qui s’imposent, Monsieur Paul Tchouta aurait, selon son témoignage, été enlevé par un groupe d’individus déterminés à l’assassiner, qui l’auraient amené de force hors de la ville, où ils lui ont infligé un traitement cruel, inhumain et dégradant. Il convient de relever que c’est la troisième fois que Paul Tchouta subit, pratiquement dans les mêmes conditions, une telle agression. Aucune enquête n’a abouti à ce jour sur ses précédentes agressions, pour déterminer les coupables et le cas échéant les commanditaires. Finalement, le malheureux n’aura eu de  « répit » que pendant ses années d’incarcération arbitraires à la prison centrale puis principale de Yaoundé », réagit le professeur Maurice Kamto, président national du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (Mrc).
Le sort de Paul Tchouta, selon ce politicien,  est désormais entre les mains du pouvoir qui a l’obligation d’assurer sa sécurité par tous les moyens, au regard de la récurrence des agressions dont il est victime ; ce d’autant plus que la police et la justice qui avaient été si promptes à le séquestrer, en violation des droits de la défense, dans une scabreuse affaire, se sont montrées étrangement silencieuses face à ces agressions à répétition. « C’est une obligation pour le gouvernement de retrouver rapidement et de sanctionner sévèrement les agresseurs de Paul Tchouta et leurs commanditaires éventuels quels que soient leur rang ou position », affirme-t-il.

La spirale de l’impunité s’allonge

A la suite de ce leader, Charlie Tchikanda, directeur exécutif de la ligue des droits et des libertés, souligne que l’Etat du Cameroun ne fait rien pour le respect du   Principe 20 de la Déclaration de principes sur la liberté d’expression et l’accès à l’information en Afrique adoptée par la Commission africaine  des droits de  l’homme et des peuples en 2019.  Le point XI de ce texte traite des attaques perpétrées contre les journalistes. Il soumet les Etats à l’obligation de prendre des mesures, en toute circonstance, pour assurer la protection et la sécurité des journalistes. Assesseur au tribunal de grande instance de Bafoussam, Hyppolite Tchoutezo, invite à dépassionner les interrogations autour des agressions subies par Paul Chouta. « Rien ne prouve que les attaques contre Paul Chouta sont liés à sa profession de journaliste. Il faut laisser les choses suivre leur cours », déclare-t-il. Mais depuis des jours, l’opinion attend que les enquêtes avancent. Rien de neuf. Et on redoute, compte tenu des antécédents liés aux agressions déjà subies par Paul Chouta dans des circonstances quasi-similaires, que la spirale de l’impunité ne s’allonge.

Guy Modeste DZUDIE (JADE)