Le cri de détresse d’un journaliste emprisonné

Le cri de détresse d’un journaliste emprisonné

Tribunal militaire.  Kingsley Njoka  a été interpellé en mai 2020 pour complicité avec les séparatistes. Il dit avoir été condamné sans jugement. Les cinq procès programmés ont été systématiquement renvoyés.

Le journaliste Njoka Kingsley était  devant le tribunal militaire de Yaoundé le 5 septembre 2022. Son audience était programmée pour la cinquième fois depuis son arrestation en mai 2020. Le procès n’a pas eu lieu parce qu’un seul juge parmi les trois que compte la collégialité était présent au tribunal. A cause de la composition irrégulière du tribunal, l’affaire a été renvoyée au 3 octobre 2022.  La conséquence de ce renvoi est le prolongement de la détention provisoire du journaliste à la prison centrale de Kondengui. Une pratique courante dans les tribunaux. Un prolongement qui viole   l’article 9 du pacte international relatif aux droits civils et politique qui stipule que : «  Tout individu arrêté ou détenu du chef d’une infraction pénale sera traduit dans le plus court délai devant un juge ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires, et devra être jugé dans un délai raisonnable ou libéré ».

Il comparait pour sécession, communication et collaboration avec les groupes séparatistes. Son audience se tient tous les premiers lundis du mois. Jusqu’à présent, les audiences sont systématiquement renvoyées. Le 1er aout 2022, l’accusé a sollicité la parole pour exprimer ses regrets devant le tribunal. « Kingsley Njoka a dit qu’il a peur d’être jugé par un tribunal qui est placé sous l’autorité du ministère de la Défense. Le porte-parole du ministère de la Défense est allé en 2020 sur une chaîne de télévision dire que notre client est terroriste. Comment le tribunal militaire peut-il être impartial dans cette affaire ? », relève un avocat de l’accusé.

Selon les déclarations faites  par le porte-parole du ministère de la défense, le journaliste avait été présenté comme un « logiciel » proche des groupes séparatistes ». Kingsley Njoka avait porté plainte devant le tribunal militaire de Yaoundé. Sa plainte était justifiée par le fait que le porte-parole du ministère de la Défense avait violé la loi en présentant un suspect n’ayant pas encore été jugé comme un coupable : « Notre client a pris la parole pour demander la suite  réservée à sa plainte déposée depuis presque deux ans. Il a été traité de terroriste sur une chaîne de télévision. La loi autorise  toute personne incriminée dans une affaire à porter plainte pour avoir réparation. Les prévenus aussi sont autorisés à se plaindre devant les juridictions.  Notre client a porté plainte et jusqu’à ce jour, le tribunal est resté muet face à cette plainte déposée par notre client. Sa dernière préoccupation posée devant la barre était de solliciter la comparution du porte-parole du ministère de la Défense comme témoin de l’accusation dans son affaire », ajoute Me Amungwa, l’avocat de Kingsley Njoka.

Presse en danger

Après l’audience du 5 septembre 2022,   la défense de Kinsgley Njoka dit être surprise de voir la justice s’acharner sur un journaliste qui a été interpellé pour avoir fait son travail : « Ce qui se passe avec Njoka est une atteinte grave à la liberté de la presse dans notre pays. Notre client est accusé de communication avec les séparatistes alors que l’éthique et la déontologie permettent aux journalistes de recouper l’information auprès de toutes les sources sans être partisan. Admettons que notre client a communiqué avec les séparatistes, cela suffit –il pour qu’il soit jugé comme étant un terroriste ? », s’interroge l’avocat. Cette interrogation se justifie  selon lui par le fait que  le  Cameroun a ratifié plusieurs instruments internationaux sur la protection des journalistes et sur l’indépendance de la justice

L’avocat  du journaliste regrette le traitement réservé à la plainte déposée par son client contre le porte-parole du ministère de la Défense. Aucune suite favorable n’a été réservée à cette plainte deux ans après son dépôt. Lors d’une audience tenue en août dernier, le ministère public a justifié que cette plainte sera examinée « au moment opportun ». Les avocats du journaliste dénoncent  la violation des dispositions de l’article 3 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui dispose :  « Les Etats parties au présent Pacte s’engagent à Garantir que toute personne dont les droits et libertés reconnus dans le présent Pacte auront été violés disposera d’un recours utile, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles »

Me Amungwa estime que si les tribunaux nationaux refusent d’examiner la plainte déposée par son client contre le porte-parole de l’armée, les instances internationales à l’instar de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples  seront saisies.

Kinsgley Njoka  a été arrêté  le 15 mai 2020, puis  transféré à Yaoundé dans les locaux du Secrétariat d’Etat à la défense (Sed). L’ancien journaliste de Magic Fm est détenu depuis deux ans. Il risque la prison à vie, car il est jugé par un tribunal militaire qui se réfère à la loi de 2014 sur le terrorisme. Une loi jugée trop dangereuse pour la liberté d’expression car, depuis sa promulgation, plusieurs journalistes ont été jugés devant cette juridiction.

Un responsable de l’Ong Journalisme en Afrique pour le développement, une Ong qui défend la liberté de la presse affirme que Kingsley Njoka  est l’exemple type d’un journaliste en détention pour avoir fait son travail.

Prince Nguimbous (Jade)