Le Barreau de Douala dans la tourmente. Trois avocats placés en garde à vue en une semaine

Le Barreau de Douala dans la tourmente. Trois avocats placés en garde à vue en une semaine

Me Saha Tazo, Me Bitang Marcel et Me BONGUEM ont été jetés dans des cellules sur ordre du parquet, sans au préalable avoir saisi le Bâtonnier, comme le demande la loi, et sans aucune procédure officielle ouverte contre eux. Une violation grave de l’article 118 du code pénal concernant les règles de garde à vue, et l’article 27 des principes de bases relatifs au rôle du Barreau adopté par les Nations Unis.

Le lundi 20 août 2022, Me Saha Tazo Pierre est arrêté par les gendarmes du service de lutte contre le grand banditisme de la légion du Littoral et jeté en cellule. Trois jours après, le jeudi 1er septembre 2022, à 13h environ, Me Bitang Marcel sur ordre du Procureur de la république (PR) du tribunal de première instance de Ndokoti est arrêté lui aussi, et jeté en cellule. Toujours jeudi vers 20h, Me BONGUEM est arrêté par le groupement de gendarmerie du Littoral sur ordre du Procureur de la république du tribunal de grande instance du Wouri (PRTGI) et jeté en cellule. 

Que s’est-il passé exactement ?

Lundi 20 août, Me Saha défend un mineur suspect, déféré au parquet après enquête préliminaire. Mais faute d’être honoré, il décide d’arrêter de travailler gratuitement et recommande aux parents de l’enfant de s’adresser à une greffière. Les parents font un dépôt de cinq cent mille Fcfa (500 000) à celle-ci pour « suivre l’affaire » sur son compte mobile. L’avocat, lui, vaque à d’autres occupations.

Le parquet ne libère pas l’enfant comme l’espérait sa famille, qui va rencontrer le procureur et lui préciser avoir remis cinq cent mille Fcfa à Me Saha. 

Le Procureur fait interpeller l’avocat. Sans lui donner la parole, sans aucune procédure ouverte contre lui, Il est placé en garde à vue à la chambre de sûreté du palais. Un gendarme est désigné pour l’auditionner toute affaire cessante. Devant le public du palais, l’avocat est escorté par le gendarme qui se plaît à le menacer de lui passer les menottes. Il emprunte un moto-taxi pour transporter l’avocat à l’unité de gendarmerie où il est jeté en cellule. 

 Des confrères informés foncent lui porter assistance. Les avocats expliquent alors au procureur que c’est la greffière qui a pris l’argent et non l’avocat. Devant le parquet les versions de l’avocat et de la famille s’opposent : Me Saha n’a jamais perçu d’argent ni délivré de reçu pour le compte du procureur ; la greffière a bien perçu l’argent. Le Procureur ordonne de remettre l’avocat en liberté. Le droit de « la présomption d’innocence » de l’avocat a été totalement violé. 

Quant à Me BONGUEM, il est arrêté le Jeudi 1e Août par les gendarmes et jeté en cellule pour une histoire similaire. Il est accusé d’avoir perçu 14 millions de Fcfa de frais d’accident de circulation d’une victime. Or c’est un agent d’affaires qui a perçu cet argent. L’avocat est injustement arrêté. 

Il a fallu une nouvelle fois une forte mobilisation des avocats. Arrêté sur simple ordonnance du Procureur, aucune procédure n’ayant été engagée officiellement contre lui. 

L’abus contre l’avocat Me Bitang,s’est déroulé le même jeudi vers 20 h.  Il est arrêté et placé en garde à vue par le PRTGI Wouri. Le parquet l’accuse d’avoir perçu des mains d’un huissier la somme de 21 millions de Fcfa qu’il n’a pas reversé à ses clients. Sans autre forme de procès, il est placé en garde à vue.

Les avocats de nouveau sur le front s’organisent pour lui porter assistance. Que s’est-il passé ? En réalité, les 21 millions ont été perçus par le collaborateur de l’avocat qui travaille également dans un autre cabinet que celui de Me Bitang.  Quand les créanciers commencent à réclamer bruyamment leur argent, le collaborateur de Me Bitang,signe avec eux un protocole d’accord. Il reconnaît avoir reçu cet argent et Il y a un début d’exécution de cet arrangement. Le PRTGI de Bonanjo qui a instruit cette arrestation reçoit les avocats qui rencontrent également l’avocat général n°1.  Au final, le cas de l’avocat arrêté et déféré au parquet est sanctionné par un classement sans suite. Car ce n’est pas lui qui a perçu l’argent.  

Les procureurs se défendent

Le magistrat Bia Bakari, Procureur de la république auprès du tribunal de première instance de Mbouda défend ses confrères, en rappelant que dans l’exercice de leurs fonctions, la loi leur permet de faire des interpellations dans le but de faire aboutir une enquête, ouverte contre un suspect. « Ça peut être l’avocat, comme ça peut être n’importe qui, même le chef de l’Etat, s’il est suspect dans une procédure, le PR est dans ses droits de le faire interpeller, le temps que tout soit tiré au clair. Personne n’est épargné par cette mesure », indique-t–il.

« Seulement, pour le cas des avocats, il y a une démarche à suivre, et les procureurs ne l’ont pas du tout appliqué », rappelle l’ancien bâtonnier Charles Tchoungang. « La loi ne permet pas à un Procureur de la république d’interpeller directement un avocat sans être passé par le bâtonnier. C’est interdit. Cela ne se fait pas. Le barreau représente une barrière de protection et de garantie pour l’avocat.  Et ces procureurs le savent. Autre chose, on ne peut pas placer en garde à vue une personne qui possède toutes les garanties de se présenter devant la justice. Ces avocats ont des grands cabinets que tout le monde connaît, et qui sont placés sous l’autorité d’un barreau. Ce qui s’est passé est inexplicable ». 

Colère des avocats

Me Minou Sterling, l’un des proches collaborateurs de Me Gabriel  Kontchou  le représentant du bâtonnier dans la région du Littoral va dans le même sens. Il affirme que trois fois de suite, deux parquets ont fait jeter en cellule des avocats pour des faits non avérés. C’est au minimum trois scandales doublés probablement d’une inexplicable déconsidération pour la profession d’avocat.

« Les avocats sont tenus déontologiquement de ne pas engager de procédure pénale contre un magistrat, un huissier de justice, un notaire sans obtenir l’autorisation du Bâtonnier. Dans la pratique, jamais un avocat n’a engagé de procédure contre un magistrat, un auxiliaire de justice, des membres des forces de l’ordre sans jamais essayer une démarche amiable. Très classe! Mais quand vient l’heure de charger l’avocat, personne ne vient arrondir les angles », regrette Me Sterling.

Il poursuit en indiquant que, « certes, les avocats ne sont pas infaillibles mais rien ne justifie que le parquet les traite avec autant de mépris et de violence ». Comment comprendre que deux parquets différents d’une même localité fassent arrêter des avocats avant de se rendre compte qu’il n’y a rien à leur reprocher? « Pourtant lors des sessions du Conseil de discipline, tous les magistrats convoqués se font accompagner et assister par des avocats, même ceux du parquet. Ont-ils d’un coup ignoré l’importance d’un avocat ? », s’interroge-t-il.

Violation de la loi

Me Fabien Kengne, avocat au Barreau du Cameroun, précise qu’il s’agit d’une violation flagrante de la loi sur les règles de garde à vue. « L’article 118 précise que toute personne ayant une résidence connue, ne peut, sauf cas de crime ou délit flagrant, et s’il existe contre elle des indices graves et concordants, faire l’objet d’une mesure de garde à vue »

Dans le même ordre d’idée, l’article 27 des principes de bases relatifs au rôle du Barreau adopté par les Nations Unies rappelle que « les accusations ou plaintes portées contre des avocats dans l’exercice de leur fonction sont examinées avec diligence et équité selon les procédures appropriées. Tout avocat a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et peut être assisté par un avocat de son choix ».

L’article 9 du pacte international relatif aux droits civils et politiques rajoute « nul ne peut faire l’objet d’une arrestation ou d’une détention arbitraire. Nul ne peut être privé de sa liberté, si ce n’est pour des motifs et conformément à la procédure prévue par la loi ».

Hugo Tatchuam (Jade)