Kidnapping et vol de bétail, Les populations fuient les villages reculés de l’Adamaoua

Kidnapping et vol de bétail, Les populations fuient les villages reculés de l’Adamaoua

Appauvris, sans travail et sans assistance, les déplacés internes qui ont fuit la guerre et ont tout vendu demandent l’aide du gouvernement pour retourner chez eux.

Entre 2015 et 2018, 311 enlèvements ont été enregistrés avec des pertes estimées à plus de 2 milliards de fcfa et un nombre important de bétails volés. Ces données sont rapportées par une association de bororos qui dénonce aussi la misère dans laquelle sont  plongées les populations déplacées.

L’Arrondissement de Tchabal Ngandaba est situé dans le département de Faro et Deo dans la région de l’Adamaoua. Ce village de 35 000 habitants,  il y a trois ans,  était un lieu propice pour les éleveurs qui venaient de tous les coins de la région de l’Adamaoua pour nourrir leur bétail. Le sol fertile et le climat doux sont favorables à la poussée de la végétation recommandée pour la bonne santé des bœufs et autres bestiaux.

Le village qui s’étend sur 6000 km2 est peuplé par les Pérés ou Koutines, Foulbés, Haoussas, Nyem-nyems, Bayas. Limité au nord par la République centrafricaine. Les rebelles centrafricains ont profité de cette proximité et de l’absence des postes armés camerounais dans ces lieux, pour traverser la frontière et venir voler le bétail et faire des kidnappings avec demande de rançons aux riches éleveurs camerounais.

Des villages déserts

 Dans un silence total, le phénomène a pris de l’ampleur puisque les montants des rançons étaient de plus en plus élevés. Aujourd’hui, Tchabal Ngandaba est Un village désert.

Ce Vendredi 4 Décembre 2020,  lorsque nous arrivons sur les lieux, seul le chant des oiseaux nous accueillent avec quelques cabanes abandonnés. Les écoles une dizaine au total, sont construites en matériaux provisoires, en état de délabrement. Certaines se sont écroulées. Depuis deux ans, les enfants ne vont plus à l’école ici. Les enseignants aussi ont fui pour échapper aux représailles des groupes armés, et ont trouvé du travail dans quelques écoles proches de la ville.

Selon les informations données par quelques chefs traditionnels demeurés sur place, les multiples enlèvements à répétitions ont obligé les éleveurs à fuir les lieux. « Au début, chaque fois que les rebelles centrafricains venaient enlever les enfants des éleveurs, les éleveurs payaient l’argent pour les libérer. Les rebelles volaient le bétail et enlevaient surtout les garçons ou les épouses. Les éleveurs donnaient beaucoup d’argent pour qu’ils soient libérés. Au fil des années les enlèvements se sont multipliés.  On en a parlé aux sous-préfets et préfets. Mais ceux-ci ont demandé aux éleveurs de ne plus payer les rançons en cas d’enlèvements et de les prévenir. De peur que leurs enfants soient tués, les éleveurs ont continué de payer les rançons en cachette.  A la fin ils ont constaté qu’il valait mieux fuir le village » rapporte ces gardiens de la tradition.

Le sénateur Undp Djafarou Mohamadou cite l’exemple d’un éleveur pourchassé par les rebelles tchadiens. Ils l’ont pourchassé jusqu’à Tignère le chef-lieu du département du Faro et Deo à plus de 150 km,  pour l’enlever là-bas et l’obliger à payer la rançon d’un de ses enfants. « Quand les rebelles ont commencé à aller jusqu’en ville enlever des gens et demander de payer des rançons, nous avons décidé d’écrire au chef de l’Etat pour réclamer qu’il envoie l’armée ici pour assurer notre sécurité » affirme ishaga Daouda une élite de l’arrondissement de Ngaoundéré 3 qui a saisi personnellement le chef de l’Etat par écrit en 2016.

Nous quittons Tchabal Ngandara en voiture pour regagner l’arrondissement de Nyambaka toujours dans le département du Faro et Deo. Ici aussi, le village est désert. Plus de 100 écoles ont  fermé. Ils n’y a pas eu d’enseignement ici depuis deux ans. Le vol de bétail et kidnapping avec demande de rançon ont fait fuir les populations. Sauf qu’ici, ce sont les rebelles tchadiens qui sévissent.

 « Voilà la frontière ! Derrière ce petit mayo, les rebelles tchadiens traversent à pied et viennent ici voler et repartent par ce fleuve qu’on appelle le Mayo Raye. Ils  y a dans l’Adamaoua trois groupes rebelles qui viennent semer le trouble. Il s’agit des groupes armés tchadiens, les centrafricains et même les soudanais. Ce sont des peuples aguerris. Ils ont la facilité d’avoir des armes puisqu’ils ont fait la guerre. Lorsqu’ils arrivent au Cameroun, ils payent quelques camerounais qui deviennent leurs indics, pour leur permettre de retrouver les familles riches qui peuvent payer des rançons. Ils y a beaucoup de complicités. Là on ne sait plus à qui faire confiance. C’est pour cette raison qu’on a souhaité que l’Etat envoi l’armée ici pour résoudre ce problème » précise un responsable.   

Le même scenario est observé dans les villages Mayo Baleo, Toubouro, Aloné dans l’arrondissement de Kontcha et tous les villages camerounais frontaliers. Les habitants terrorisés et appauvris par les groupes armés ont décidé de s’enfuir pour aller trouver refuge ailleurs.

Des quartiers « spontanés »

Depuis le début du phénomène, des quartiers spontanés se sont créées dans les centres villes. C’est le cas de Gadaganh Haoussa à Meiganga, situé a plus de 150 km de Ngaoundéré.

 Dans ce quartier on retrouve uniquement les déplacés qui ont vendus le reste de leur bétail pour s’acheter des maisons, ou investi dans d’autres activités. Les plus pauvres ont tout perdu. Mais ici  au mois ils ont retrouvé la sécurité.

« Il y a beaucoup de personnes ici,  à qui les groupes armés ont tout arraché, volé tout leur bétail. D’autres qui ont vendus tous leurs bestiaux pour pouvoir payer des rançons. Certains ont quitté leurs maisons en laissant tout derrière eux ». nous explique un dirigeant.

A Ngaoundéré, chef-lieu de la région de l’Adamaoua, il y a un autre quartier spontané appelé Remianga. Là-bas, le spectre de pauvreté y est saisissant. Les anciens éleveurs vivent dans de petites maisons avec plusieurs épouses. Des familles composées de 20 à 30 personnes. Certains grands agriculteurs qui possédaient des hectares de terres cultivables sont devenus des conducteurs de mototaxis. Des petits jobs qu’ils font pour pouvoir nourrir leurs familles. « Ici, les déplacés qui ont fui la brousse pour se retrancher en ville n’ont pas d’emploi. Leur mode de vie a changé, et certains enfants plongent dans la délinquance, les femmes se prostituent. Un phénomène social que le gouverneur de la région de l’Adamaoua et les autres autorités observent mais personne n’ose en parler » se plaingent les chefs traditionnels.  

Réaction insuffisante de l’Etat

En janvier 2019, un peloton de 130 gendarmes du groupement polyvalent d’intervention de la gendarmerie nationale est parti de Yaoundé pour aller sécuriser la région de l’Adamaoua. Il s’agit d’une unité d’élite de la gendarmerie nationale spécialisée dans la lutte contre le grand banditisme et la lutte antiterroriste. Ils avaient pour mission de renforcer pendant 5 mois les gendarmes déjà déployés dans la région, sécuriser par des actions fortes et des patrouilles de dissuasion.

Avec la coopération des populations, tout s’est bien passé, le phénomène est en baisse, mais les enlèvements se poursuivent. L’Etat a pensé à l’envoi des forces armées, mais semble avoir oublié le problème le plus sérieux.

« Il y a un  problème bien plus grave totalement ignoré ; Il s’agit de la situation sociale des déplacés internes. Que feront les familles déplacées ? Que deviendront-elles ? Leurs enfants ne vont plus à l’école depuis deux ou trois ans, dans une zone pauvre comme l’Adamaoua, ils n’ont plus de moyens financier pour pouvoir rentrer chez eux. La situation sociale de ces déplacés fait de plus en plus problème. Avec près de 2 milliards de fcfa de rançons qu’ils ont payé, beaucoup se sont appauvris, et ne peuvent même plus nourrir leurs familles. Que deviendront-ils ? S’est longuement interrogé le sénateur Djafarou devant les membres du gouvernement lors des questions orales au Senat.

Un plan d’urgence social

« Une solution sera trouvée ». C’est la même réponse donnée par les différentes autorités rencontrées lors de notre enquête dans la région de l’Adamaoua. Aucune mesure concrète n’est prise pour recevoir les déplacés. Les préfets et le gouverneur affirment qu’ils n’ont pas de budget pour pouvoir subvenir à leurs besoins.

« Le plus important maintenant c’est de trouver un moyen pour aider les familles sinistrées, beaucoup ont même perdus les membres de leurs familles. Pour moi, l’Etat doit financer un plan d’urgence social pour ces personnes. J’ai fait cette proposition aux ministres »,  a expliqué le sénateur Mohamadou Djafarou. Mais  a-t-il été écouté ?  

Cette  mesure devrait être prise par l’Etat,  pour respecter les termes de L’article 11 du pacte international relatif aux droits économiques sociaux et culturels signé par le Cameroun qui rapporte que « Chacun a droit à un niveau de vie suffisant pour lui-même et sa famille y compris une nourriture, un vêtement et un logement suffisant. Tout le monde a le droit d’être à l’abris de la faim ». Les Etats parties prenantes de ce pacte ayant promis de prendre des mesures appropriées pour assurer la réalisation de ces droits. Les instances judiciaires devraient donc mettre la pression sur l’Etat, pour améliorer le quotidien de ces déplacés.

Hugo Tatchuam (Jade)