Face à la rareté du blé, les Mbororo, Kwandja et Mambila fabriquent le pain de manioc

Face à la rareté du blé, les Mbororo, Kwandja et Mambila fabriquent le pain de manioc

Dans le village Bombol situé dans l’arrondissement de Mayo Darlé, une centaine de jeunes ont reçu des autorités traditionnelles, des hectares de terre pour pratiquer l’agriculture extensive du manioc. Ils fabriquent le pain de manioc (Kumba), le gâteau, le beignet, les spaghettis et autres pâtes, ceci pour palier  l’absence de la farine de blé devenue trop chère, suite à la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Le  sénateur Baroua Nyakeu veut vulgariser ce projet au niveau national, et appelle à un accompagnement de l’Etat. 

Comme tous les matins, dans le village de Bambol, situé dans le département du Mayo-Banyo dans la région de l’Adamaoua,   ce mercredi 1e juin 2022, Issa, jeune agriculteur Mbororo de 18 ans arpente sa plantation de manioc qui s’étend sur un quart d’hectare, pour s’assurer que tout se passe bien.  « Nous sommes encore en période de pluie, il y a des mauvaises herbes qui poussent souvent à certains endroits du champ. Il faut donc les enlever pour éviter qu’elles n’étouffent les plantes en croissance », affirme issa.

Cela fait huit mois qu’il a reçu de nouvelles terres et des boutures de manioc de son chef de village, l’honorable Baroua Nyakeu, pour faire cette culture extensive de manioc. « Je fais de l’agriculture depuis de nombreuses années. Avant je cultivais seulement le maïs. Mais à cause de l’augmentation du prix du blé sur le marché, la farine de blé est devenue très chère, et n’arrive même plus dans notre village. La route, longue de 218 km, qui relie le village à Bafoussam, la grande ville la plus proche où on peut s’approvisionner est impraticable en saison de pluie, puisqu’elle n’est pas bitumée. Un sac de farine de blé acheté là-bas à 50 000 fcfa par le commerçant,  est revendu ici presque le double du prix. Les grands commerçants tiennent compte de la difficulté de transport, car le camion qui transporte ces marchandises passe parfois plusieurs nuits sur la route, embourbé et bloqué.  Maintenant, la farine de blé n’arrive même plus ici », précise Issa.

Il faut huit mois pour que le manioc arrive à maturité et puisse être récolté. Ce qui va bientôt être le cas pour l’exploitation d’Issa. « Dès que je récolte. Cela me donnera plusieurs tonnes de manioc. Je vais tout transporter à Mayo Darlé, le chef-lieu de l’arrondissement. C’est là-bas que se trouve les machines pour transformer le manioc en farine, ainsi que d’autres machines pour fabriquer le pain traditionnel à base de cette farine de manioc. Nous appelons ça ici, le pain « Kumba ». Cette même farine permettra aussi de faire le beignet, le gâteau et autres. Autre chose aussi, les feuilles du manioc récoltées dans les champs ne sont pas jetées. Nous les découpons en petit morceau pour l’utiliser comme du légume pour cuisiner le « Kwem », une sauce très prisée ici. Nous allons donc revendre ces feuilles de manioc sur le marché et cela va également nous rapporter de l’argent. Et enfin, les tiges de manioc après la récolte seront utilisées comme les « boutures », c’est dire des semences. Vous voyez qu’on ne jette rien dans la culture du manioc », mentionne Issa, très ravi.

Moussa, heureux de la rentabilité financière

Moussa, est un autre jeune agriculteur âgé de 25 ans. Il est d’origine Kwandja. Les Kwandjas sont les peuples autochtones du village Bambol. Ils ont été très pacifiques en accueillant au fil des années les Mbororos et les Mambilas. Moussa a également reçu comme tous les autres, un quart d’hectare de terre pour faire la culture de manioc. Lui aussi cultivait uniquement le maïs comme tous les autres. Mais il indique que c’est le volet de la rentabilité qui l’a poussé à se jeter dans la culture du manioc. « Sur une même surface cultivable, le manioc nous donne plus d’argent que le maïs. Et sur le volet exigences aussi, le manioc pousse sur n’importe quel sol. On n’a pas besoin d’engrais. Par contre le maïs a besoin d’un sol fertile. Comme l’engrais est devenu tellement cher au point  que nous ne pouvons plus l’acheter, le manioc est bien accueilli. Un sac d’engrais est vendu à plus de 100 000 fcfa », précise Moussa.

Rencontré en début de soirée dans une petite case construite en paille où les cultivateurs se retrouvent tous les soirs après le travail des champs pour se donner les nouvelles et jouer au damier pour se distraire, Moussa et ses amis affirment qu’ils ont une énorme inquiétude : éviter dans les prochains jours, que les bœufs viennent détruire leurs récoltes. « La culture de maïs dure quatre mois, le temps de la saison des pluies. Ici dans l’Adamaoua, les éleveurs gardent leurs bœufs pendant ces quatre mois, pour les relâcher en saison sèche c’est à dire après les récoltes du maïs. Mais maintenant que nous cultivons le manioc, le manioc pousse sur un cycle d’au moins huit mois et plus, il traverse la saison sèche. Après quatre mois, nous avons peur que les bœufs viennent manger nos récoltes. C’est pour cette raison que nous avons demandé au ministère de l’agriculture de nous aider à construire des barrières en fil barbelé pour protéger nos récoltes. Mais jusqu’à présent ils ne nous ont pas répondu. Nous nous sentons marginalisé et oublié par l’Etat. En tant que peuples autochtones et minoritaires, nous devons quand même bénéficier d’un certain nombre d’avantages, comme le demande la constitution », explique un autre jeune agriculteur.

Une cinquantaine de jeunes sont soutenus dans ce projet dans les villages Nyawa1, Mayo-Dinga, Ribao et Mbilamh. Depuis le début du conflit entre l’Ukraine et la Russie ayant entraîné la forte augmentation du prix du blé qui était importé de l’Ukraine, les habitants du village Bambol ont fortement été secoués par la rareté du blé, qui est utilisé à 40% dans la consommation des ménages. Le Gouvernement n’ayant apporté aucune solution pour palier l’absence du blé, à l’initiative du sénateur Baroua Nyakeu,  les chefs de villages se sont réunis et ont décidé de distribuer les terres et les boutures de manioc aux jeunes âgés de 15 à 40 ans pour leur permettre de cultiver le manioc sur de grandes surfaces. Malheureusement, toutes les demandes d’aides de l’Etat sont restées vaines, jusqu’à aujourd’hui.

Des besoins énormes

« Nous avons fait des demandes au ministère de l’agriculture et du développement rural, au ministère des petites et moyennes entreprises,  pour qu’ils envoient des experts pour perfectionner nos jeunes agriculteurs. Hier, ils cultivaient des petites surfaces,  maintenant ils travaillent sur des hectares. Ils ont besoin de formation sur les techniques de culture, la transformation, la conservation et la commercialisation », explique l’un des chefs de villages.

Le village Bambol a aussi  besoin d’aide pour supporter les coûts de transformation. « Avant on faisait une petite transformation traditionnelle pour la consommation locale. Maintenant on fait de la transformation pour la pâtisserie. Nous avons besoin de nouvelles machines », rajoute un autre chef traditionnel.

Face au silence de l’Etat, de nombreuses organisations paysannes ont été contactées. Bobo Bakary, président de la plateforme nationale des organisations professionnelles agro-silvopastorales du Cameroun (Planopac), la plus grande organisation des producteurs du Cameroun,  a décidé d’apporter son aide pour la formation des jeunes agriculteurs. « Il y a menace de faim dans nos villages. En formant ces jeunes, ils pourront vendre les retombées de leurs produits dans tout le pays pour avoir plus d’argent », indique  Bobo Bakary.

Le programme Afop, financé par l’Union Européenne, ayant pour but de former les jeunes dans le secteur agropastoral, basé dans la ville de Banyo, chef-lieu du département,  a aussi été sollicité. «Nous demandons que ce programme installe des centres de formation dans les trois arrondissements du département, Bankim, Mayo Darlé et Banyo », demande le chef du village de Bambol.

Soutien obligatoire des  minorités et peuples autochtones

Le sous-préfet de Mayo-Darlé Mohamadou Moussa ainsi que le deuxième adjoint au maire de Mayo Darlé d’origine Mbororo, Mohamed Issa,  ont indiqué que l’Etat soutient toutes les initiatives prises pour le développement local. Et que le projet agricole en cours en ce moment est une aubaine pour l’avenir des jeunes. Ils demandent un peu plus de temps pour que l’État apporte son soutien.  

Et pourtant dans la constitution du Cameroun du 18 janvier 1996, il est indiqué que «  l’Etat assure la protection des minorités et préserve les droits des peuples autochtones. Et conformément à la loi, assure leur développement social »L’article 21 de la déclaration des Nations Unies sur les peuples autochtones indique que les Etats prennent des mesures efficaces pour assurer une amélioration continue de la situation économique et sociale des peuples autochtones, une attention est accordée aux droits et besoins particuliers des jeunes, femmes et enfants… ».

Autant de dispositions légales qui doivent amener l’Etat à apporter son soutien à l’initiative prise en ce moment dans le village Bambol.

Hugo Tatchuam (Jade)