Exploitations avicoles hors la loi. Le travail au noir de centaines d’ouvriers bororos

Exploitations avicoles hors la loi. Le travail au noir de centaines d’ouvriers bororos

A l’Ouest, l’inspecteur du travail promet de rappeler à l’ordre les propriétaires des fermes qui ne respectent pas la législation sociale.

A quelques mètres  de la frontière entre Njincha et Njinbouot-Fongué dans le Noun, une grande exploitation avicole s’impose dans le décor. Elle emploie une cinquantaine de personnes, dont vingt Bororos. Main d’œuvre bon marché, selon certains habitants de la rive gauche du Noun, « les travailleurs bororos ne compliquent pas la vie au patron ». Avec moins de 30 000 Fcfa de salaire pour plus de 10 heures de travail par jour, ils sont en majorité, « embauchés sans contrat de travail ou de lettre d’embauche», comme le témoigne l’un d’entre eux.

De jour comme de nuit

  « Ils sont comme ça des centaines de Bororos qui travaillent au noir dans les fermes avicoles construites dans les campagnes de Bafoussam, Foumbot et Bangangté depuis de nombreuses années. Ils ne sont pas affiliés à la Caisse nationale de prévoyance sociale(Cnps).  Ils sont logés dans un camp à proximité des fermes (sans respect des normes environnementales, d’hygiène et de sécurité) ; ils travaillent régulièrement de jour comme de nuit sans aucune réglementation. Ils sont dans des campements avec femmes et enfants (des mineurs). Les enfants n’ont pas d’acte de naissance, les femmes pas d’acte de mariage ; il n’y a pas d’école maternelle ou primaire à proximité», dénonce Hassan, un ancien travailleur de ferme. « Je cherche un nouveau travail. Je suis fatigué de me faire exploiter. J’ai une famille de cinq enfants à nourrir. J’ai beaucoup marché dans les villages de l’Ouest pour le travail. Je suis rentré à Bangangté, là où se trouvent mes parents. J’ai besoin de travailler dans des conditions plus humaines», poursuit-il, fatigué.

Protéger les enfants

 Après plusieurs années de travail, rapporte un conducteur de moto de Fongou, ils sont virés sans aucune autre forme de procès.  Willy Kamanda, proche du chef du village Njinbouot-Fongué à Foumbot dans le département du Noun a une idée qui lui trotte dans la tête depuis des mois : « faire sortir les membres de la communauté Bororo de ce village de l’obscurantisme ». « Je vais moi-même recenser les enfants. Il faut qu’ils soient scolarisés. Ce n’est pas normal que leurs parents travaillent de jours comme de nuits dans les fermes, et qu’ils vivent comme des esclaves. A la suite du chef Arouna Djomgang Nguepnang, je suis engagé à humaniser les conditions de tous ceux qui travaillent dans les plantations ou dans les grandes exploitations avicoles de ce village », soutient-il, pointant du droit une ferme qui s’étend sur plus de cinq hectares à Njinbouot-Fongué.

Membre de Mboscuda (Association culturelle et sociale des Bororos) et infirmier vétérinaire, Lehrer Amadou dénonce également cette exploitation abusive des membres de cette communauté dans les exploitations du Noun, des Bamboutos, de la Mifi et du Ndé. « Mes frères ne veulent pas comprendre l’importance de l’éducation. Ils ne veulent pas s’améliorer. Ils ne veulent pas se comporter en entrepreneurs sociaux et économiques. Ils sont toujours exploités », énumère-t-il.

Bonne conscience des patrons

« Nous payons les travailleurs en fonction de ce que nous gagnons. Nous ne sommes pas là pour faire souffrir nos frères Bororos. Ce sont eux qui viennent demander le travail à la ferme. Et parfois, nous acceptons pour les faire sortir du vol. Habituellement, ils sont recrutés comme veilleurs de nuit. Certains cherchent à accomplir des tâches en journée pour arrondir leur fin de mois », se donne bonne conscience Albert T, un propriétaire d’exploitation avicole de la ville de Bafoussam.  Ce discours est loin de convaincre. Comme l’indique Théophile Nono, ingénieur agronome et défenseur des droits humains, « il y a plein d’esclavagiste dans le milieu agricole. »

 Il invite tous les travailleurs du monde rural à laisser de côté la peur pour revendiquer ce qui leur revient de droit. Il rappellele pacte international sur les droits civils et politiques qui dispose en son article 8 : « Nul ne sera tenu en esclavage; l’esclavage et la traite des esclaves, sous toutes leurs formes, sont interdits.  Nul ne sera tenu en servitude. Nul ne sera astreint à accomplir un travail forcé ou obligatoire ».Une position que partage Luc Thierry Ebolo, cadre contractuel d’administration en service à la délégation régionale du travail et de la sécurité sociale de l’Ouest.  Il se dit préoccupé surtout par le travail des enfants. « Je vais voir avec ma hiérarchie comment organiser une descente dans lesdites fermes pour vérifier si les employeurs respectent la réglementation nationale en matière de travail. Avant de sanctionner, il faut d’abord sensibiliser…»

Guy Modeste DZUDIE(JADE)