Diffamation par voie électronique. La presse en ligne exige aussi la dépénalisation des poursuites

Diffamation par voie électronique. La presse en ligne exige aussi la dépénalisation des poursuites

Lors de la célébration de la journée internationale de la liberté de la presse le 3 mai, l’Union des éditeurs de la presse en ligne a dénoncé la pénalisation des poursuites et des condamnations des journalistes pour les faits de diffamation en ligne. Une violation grave des conventions internationales, qui demandent à l’Etat de trouver d’autres moyens de sanctions.

« Fact checking et l’écriture web ». Tel est le thème de la conférence de formation organisée à Yaoundé le 10 mai par l’Agence France Presse, en collaboration avec l’Agence Digitale d’information Africaine et l’Union des éditeurs de la presse en ligne du Cameroun, pour marquer la célébration de la journée internationale de la liberté de la presse.  Les 22 membres de l’Association de défense de la presse en ligne au Cameroun ont pris part à cette formation.

La question de la dépénalisation des délits de presse par voie électronique était au centre des discussions. Djikam Janvier le président de l’Union des éditeurs de la presse en ligne a souligné qu’au Cameroun, tous les journaux en ligne sont réglementés par la loi du 21 décembre 2010 relative à la cybersécurité et la cybercriminalité. Une loi qui est plus rigoureuse que le code pénal, concernant la sanction des délits de presse.

« Pour les cas de diffamation en ligne, l’article 78 punit d’un emprisonnement de six mois à deux ans et d’une amende de cinq millions à dix millions de Fcfa, celui qui publie ou propage par voie de communication électronique une nouvelle sans pouvoir en apporter la preuve de véracité ou vérifier qu’il avait de bonnes raisons de croire à la vérité de ladite nouvelle. Les peines sont doublées lorsque l’infraction est commise dans le but de porter atteinte à la paix publique », affirme Thomas D. l’un des participants, journaliste au journal en ligne « Journal du Cameroun ».

Sylvain G journaliste à la rédaction centrale du journal en ligne « Cameroun Magazine » précise que l’article 79 est encore plus rigoureux. «  L’article 79 indique que les peines réprimant les faits d’outrage privé à la pudeur prévus à l’article 295 du code pénal, sont encore plus durement réprimées en cybercriminalité. Elles sont punies d’un emprisonnement de 5 à 10 ans, et d’une amende qui peut aller jusqu’à 10 millions de Fcfa, lorsque la victime a été exposée en utilisant les voies de communication électronique ou des systèmes d’information ».

Plusieurs agences de presse internationales qui suivaient la conférence en ligne ont apporté leur solidarité aux journalistes camerounais. On peut entre autre citer l’agence de presse Turque « Anadolu agency », le site franco-arabe Alwihdainfo.com et bien d’autres.

Plusieurs journalistes poursuivis en ce moment

Nestor Nga Etoga directeur des rédactions à l’Agence Africaine d’Information Africaines, par ailleurs, secrétaire général de l’Union des éditeurs de la presse en ligne est poursuivi pour diffamation en ligne en ce moment par une entreprise forestière depuis  6 ans. Il fait l’objet de quatre procédures engagées contre lui pour une enquête publiée en ligne sur des cas « d’abus et de spoliation du patrimoine forestier du Cameroun par une entreprise forestière française ».

Le journaliste Nestor Nga est attendu pour la 55ieme  audience à la cour d’appel du Littoral à Douala et au tribunal de Mfou dans la région du centre. Reporter sans frontières, Freedom House et bien d’autres organismes internationaux ont saisi les autorités camerounaises pour demander l’arrêt des poursuites sans succès.

Presque tous les patrons de presse en ligne sont unanimes. Il est impossible de faire du journalisme d’investigation dans les journaux en ligne avec cette loi sur la cybercriminalité. Ils ont saisi l’occasion de la célébration de la journée internationale de la liberté de la presse pour demander que la dépénalisation des délits de presse se fasse aussi pour la presse en ligne.

Le journaliste Paul Chouta, on se souvient, a été condamné à deux ans de prison pour les poursuites de diffamation en ligne. C’est sur la base de la loi sur la cybersécurité et la cybercriminalité qu’il a été condamné. Plusieurs autres journalistes sont menacés ou poursuivis également en ce moment pour des articles produits en ligne. L’Union des éditeurs de la presse en ligne souhaite qu’une solution soit trouvée pour stopper toutes ces sanctions pénales.

Une presse en ligne encore non régulée

« La presse en ligne ne fonctionne pas encore de manière légale au Cameroun. Il n’y a aucune loi qui reconnaît l’existence de la presse en ligne. Aucun préfet n’autorise son fonctionnement. Dans d’autres pays, la presse en ligne est régulée, elle reçoit même des subventions importantes. Au Cameroun lors de la remise de l’aide publique à la presse par le ministre de la communication, la presse en ligne ne fait pas partie des bénéficiaires », explique un responsable du ministère de la communication qui a requis l’anonymat. .

« Au Cameroun il faut faire passer une proposition de loi ou un projet de loi à l’assemblée nationale pour organiser le circuit de fonctionnement légal de la presse en ligne. Introduire les nouveaux métiers du journalisme comme le Web journalisme. Et dans le web journalisme il y a les « fact checkeurs » et plusieurs autres spécialités de journalisme à introduire », indique Nestor Nga le secrétaire général de l’Union des éditeurs de la presse en ligne.

Pour lui, se sont les syndicats de journalistes qui doivent faire des propositions au ministre de la communication. Et le gouvernement doit envoyer un projet de loi à l’assemblée nationale pour réorganiser le fonctionnement de la presse en ligne, en révisant notamment la loi sur la cybercriminalité.

« Nous, membres de l’Union des éditeurs de la presse en ligne au Cameroun, avons préparé et transmis au ministre de la communication tout un document concernant la reconnaissance du web journalisme au Cameroun. Les rédactions web au Cameroun sont bien organisées. Elles fonctionnent normalement comme les radio, télé, presse écrite. L’Etat ne veut pas organiser la presse en ligne, mais il est seulement pressé de condamner les journalistes devant les tribunaux pour des actes de diffamation en ligne », poursuit Nestor Etoga.

Non-respect des normes juridiques

Par ailleurs, l’avocat Me Bernard Fonju indique que l’exécution des procédures liées à la loi sur la cybercriminalité n’est pas encore véritablement maîtrisée, ce qui explique de nombreuses dérives devant les tribunaux.  « Lorsqu’on veut poursuivre un journaliste pour une infraction commise en ligne. Ce n’est pas un huissier de justice qui va servir la convocation au journaliste. Ce sont les experts de la police judiciaire qui le font, en collaboration avec les experts de l’agence nationale des technologies de l’information et de la communication (Antic), qui est un établissement public administratif doté de la personnalité juridique et autonome. Ils doivent constater ces faits 7 jours après les constats des faits de diffamation. Raison pour laquelle la plupart des procédures sont vouées à l’échec, puisque cette procédure nouvelle n’est malheureusement pas appliquée ».

 Pour les juristes,  la procédure de suspension des poursuites pénales des journalistes pour les faits commis en ligne, passera forcement par l’Antic au Cameroun. D’où l’importance de travailler avec un cabinet d’expert sur la question.

Faire respecter les conventions internationales

Le Cameroun a signé de nombreuses conventions internationales qui demandent de dépénaliser les délits de presse. Parmi ces conventions on peut citer la déclaration des principes sur la liberté d’expression et l’accès à l’information en Afrique. Au sujet des mesures pénales, elle rappelle que les « Etats parties doivent abroger les lois pénales  sur la diffamation et la calomnie en faveur d’autres sanctions proportionnées ». L’alinéa 4 souligne que « l’imposition de peines privatives de liberté pour des infractions comme la diffamation et la calomnie sont des atteintes au droit à la liberté d’expression. La liberté d’expression n’est pas restreinte pour les motifs touchant à l’ordre public ou à la sécurité nationale ».

Hugo Tatchuam (Jade)