Des avocats partagent leur cellule avec des brigands

Des avocats partagent leur cellule avec des brigands

Violations. ​ Interpellés le 18 novembre 2020 à Douala, Richard Tamfu et Armel Tchuenmegne ont passé près de huit heures d’horloge avec des détenus de droit commun, alors qu’ils n’ont commis aucun crime.

Richard Tamfu et Armel Tchuenmegne ont été arrêtés dans la matinée du 18 novembre 2020, dans le cadre des procédures engagées par le ministère public, en rapport avec un mouvement d’humeur observé huit jours plus tôt par des avocats dans une salle d’audience du tribunal de première instance de Douala-Bonanjo. Conduits à la Division régionale de la police judiciaire du Littoral (DRPJ-L), à Bonanjo au centre administratif de Douala, les deux hommes de loi ont été auditionnés par des officiers de police judiciaire. Pour cause de leur participation présumée auxdites manifestations.

Après la notification de leur garde à vue, ils sont conduits dans une cellule où ils doivent passer leur première nuit en détention provisoire, en présence des autres prévenus. Un « calvaire » que décrit Armel Tchuenmegne en ces termes : « Il n’y avait pas de place en cellule. A un moment je suis allé m’allonger sur un banc d’environ un mètre et demi. J’étais obligé de temps en temps, de céder la place à Richard pour lui permettre de se reposer. Il y avait tellement de moustiques… » Pendant leur séjour à la PJ, les visites de leurs confrères sont réduites, et seuls les avocats à qui des enquêteurs ont préalablement délivré des « bons » sont autorisés à rencontrer les prévenus, d’après leur récit des faits. 

Huit heures avec des brigands

Le jeudi 19 novembre, Richard Tamfu s’est réveillé souffrant et ses proches ont dû acheter des médicaments pour calmer son malaise. Aux environs de 10 heures, ils ont été extraits de leur cellule pour le parquet. Après avoir reçu l’injonction de se déchausser, ils sont jetés au fond d’une cellule où ils côtoient des brigands qui les y ont précédés. « La cellule était pleine de bandits. Ils n’avaient même pas d’eau à boire et quand ils avaient envie de se mettre à l’aise, ils urinaient dans des bouteilles d’eau minérale. Quand nous sortions de la cellule, il y avait neuf à dix bouteilles remplies d’urine », raconte Armel Tchuenmegne. 

C’est finalement aux environs de 18h que les deux avocats sont reçus par le Procureur de la République, qui décide de les placer sous mandat de dépôt à la prison centrale de Douala. Au final, ils auront passé huit heures dans ces conditions dégradantes avant d’être interrogés,  alors qu’ils n’ont commis aucun crime. « On nous a arrêtés sans mandat, on nous a détenus dans des conditions dégradantes et humiliantes, et on nous a déférés dans les mêmes conditions pour nous jeter en cellule avec des bandits. Le seul document que nous avons signé c’est notre bon de garde à vue », se désole maître Richard Tamfu.  

Depuis des années, les défenseurs des droits de l’homme déplorent cette dégradation généralisée des conditions de garde à vue et de détention provisoire des personnes bénéficiant, pour la plupart, de la présomption d’innocence. Ceci dans un contexte où les administrations judiciaires et pénitentiaires font face à une insuffisance des infrastructures. Ce à quoi il faut ajouter la surpopulation carcérale due souvent aux divers abus, et les lenteurs de procédures judiciaires elles-mêmes liées à l’insuffisance de personnel. Pour maître Alice Nkom, avocate et spécialisée dans la défense des droits de l’homme, « l’humiliation » et les mauvais traitements infligés aux avocats participent de la volonté du pouvoir exécutif camerounais de prendre sa revanche sur le Judiciaire, la répression violente d’une grève des avocats anglophones, en 2016, ayant été à l’origine de la crise sécuritaire qui prévaut depuis lors dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. « Ils n’ont jamais digéré ça. Ce sont des décisions punitives », affirme-t-elle. 

Cadre légal violé   

C’est pour trouver un début de réponse à ces problèmes que le législateur camerounais a, à travers la loi n° 2005/007 du 27 juillet 2005 portant code de procédure pénale modifiée et complétée par la loi n° 2006/008 du 14 juillet 2006, prévu en son chapitre 4 (section IV) les conditions d’une garde à vue. L’article 118 alinéa 2 stipule : « Toute personne ayant une résidence connue ne peut, sauf cas de crime ou de délit flagrant et s’il existe contre elle des indices graves et concordants, faire l’objet d’une mesure de garde à vue. »

Plus loin, l’article 218 du même chapitre dispose en son alinéa 1 : « La détention provisoire est une mesure exceptionnelle qui ne peut être ordonnée qu’en cas de délit ou de crime. Elle a pour but de préserver l’ordre public, la sécurité des personnes et des biens ou d’assurer la conservation des preuves ainsi que la présentation en justice de l’inculpé. Toutefois, un inculpé justifiant d’un domicile connu ne peut faire l’objet d’une détention provisoire qu’en cas de crime. » Dans la même veine, l’article 9 alinéa 3 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques stipule que « La détention de personnes qui attendent de passer en jugement ne doit pas être de règle, mais la mise en liberté peut être subordonnée à des garanties assurant la comparution de l’intéressé à l’audience, à tous les autres actes de la procédure et, le cas échéant, pour l’exécution du jugement ».

La Constitution camerounaise du 18 janvier 1996 consacre les libertés fondamentales, parmi lesquelles le droit de manifester pacifiquement. Dans le cas d’espèce, des centaines d’avocats se sont mobilisés au Tpi de Bonanjo le 10 janvier 2020, à l’effet de soutenir et d’assurer la défense de deux de leurs confrères arrêtés le jour précédent dans le cadre d’une affaire de corruption présumée. Ils avaient protesté contre une décision avant-dire-droit refusant la liberté sous caution aux mis en cause, ce alors même que des garanties étaient proposées au tribunal.  ​ ​ ​

Le procureur ne reçoit pas   

Le mardi 1er décembre 2020, nous avons contacté le procureur de la République près le Tpi de Douala-Bonanjo pour recueillir sa version des faits. Après avoir souligné que son service est public, il a déclaré que ses bureaux sont ouverts, à condition que le reporter veuille patienter à son secrétariat comme les autres visiteurs. Au cabinet du procureur, mercredi, le policier assurant l’accueil a demandé au reporter de contacter sur le téléphone le procureur pourtant présent dans son bureau. Celui-ci a raccroché aussitôt que le reporter a ré exposé sa préoccupation. « Il est très occupé. S’il voulait vous recevoir, il devait vous le faire savoir au téléphone. Même si vous désirez revenir, il faudra l’appeler d’abord », a suggéré l’homme en tenue.  

Théodore Tchopa (Jade)