Des avocats interpellés sans mandat à Douala

Des avocats interpellés sans mandat à Douala

Abus, violations. Piégés et arrêtés par des agents de la brigade antigang, Richard Tamfu et Armel Tchuenmegne ont passé deux jours en détention abusive à la police judiciaire du Littoral, avant d’être déférés et incarcérés, alors qu’ils n’ont commis aucun crime. 

Maître Richard Tamfu et Armel Tchuenmegne, deux avocats inscrits au barreau du Cameroun, ont été interpellés, le mercredi 18 novembre 2020, à des endroits différents par des agents de la brigade antigang, qui ont usé de ruse. Ceux-ci se sont fait passer pour des apporteurs d’affaires en rassurant les deux avocats que les business qu’ils leur proposaient étaient juteux et en exigeant, pour le cas de Me Armel Tchuenmegne, que des rétro commissions leur soient versées après le succès des opérations. Crédule, chacun des deux avocats est allé à la rencontre de son interlocuteur avant de se rendre compte, par la suite, qu’il s’agissait d’un guet-apens. Chacun d’eux s’est vu signifier verbalement que le procureur de la République a instruit le chef de la division régionale de la police judiciaire du Littoral de les mettre aux arrêts, de les auditionner et de les déférer ensuite au parquet. « Nous avons exigé en vain de voir le mandat d’arrêt », dénoncent les deux auxiliaires de justice. Qui se réservent le droit de poursuivre la justice camerounaise pour exiger la réparation du préjudice qu’ils ont subi.

Brutalité

Au moment de leur interpellation, les deux avocats sont en possession de leurs téléphones portables et sont véhiculés. C’est en vain que Armel Tchuenmegne demande à passer un coup de fil à sa hiérarchie et à sa famille pour les informer de son arrestation. « Pendant que je m’activais pour contacter le chef de la Police judiciaire, ils m’ont froissé la main qui tenait le téléphone, avant d’arracher l’appareil », dénonce Richard Tamfu. Un acte brutal. L’avocat raconte que les policiers en civil, qui l’ont arrêté, ont exigé qu’il leur donne les clés de sa voiture et ont retenu sa carte nationale d’identité ainsi que celle de son ami qui l’accompagnait. Ces agents n’ont pas décliné leur propre identité auprès du prévenu, auquel aucune charge n’a été notifiée. « L’un d’eux a insisté pour conduire ma voiture au cas où je ne voulais pas entrer dans leur propre véhicule. »

Conduits à la police judiciaire, les deux avocats, ainsi que l’ami de Me Tamfu ont été auditionnés par des officiers de la police judiciaire, qui ne leur ont toujours pas présenté un mandat détaillant les charges retenues contre eux. L’un des officiers de police tenait en main un document d’une autre nature, où il est écrit « Très confidentiel ». Armel Tchuenmegne exige à voir ledit document, en vain. A la dernière page, il parvient tout de même à reconnaître le nom et la signature du procureur de la République près le tribunal de première instance de Douala-Bonanjo. Le fait reproché aux deux juristes, leur expliquera-t-on dans la foulée, est d’avoir pris part, le 10 novembre dans une salle des audiences du tribunal de première instance de Douala-Bonanjo, à une manifestation des avocats. 

Ce jour-là, ils sont pourtant plus d’une centaine d’hommes en robe noire présents au Tgi de Bonanjo. Ils protestent contre une décision « avant dire-droit » d’une juge, relativement à la demande de mise en liberté provisoire émise par la défense de deux autres avocats interpellés vingt-quatre heures plus tôt au sein de cette même juridiction, dans le cadre d’une affaire de corruption, et placés sous mandat de dépôt à la prison centrale de Douala. Armel Tchuenmegne affirme par ailleurs qu’il a également aperçu, en annexe du document que tenait l’officier de police judiciaire, un autre feuillet sur lequel étaient photocopiées des captures d’écrans qui seraient les éléments de preuves du ministère public. 

Banalisation des violations

Ces faits viennent s’ajouter à la longue liste des arrestations arbitraires et des violations des droits des suspects, qui ont tendance à se banaliser au Cameroun depuis quelque temps, dans un contexte marqué par la crise post-électorale et les crises sécuritaires dans les régions anglophones, dans les régions septentrionales et de l’Est du pays. Le dimanche 11 novembre dernier, Victoire Stéphanie Djomo Yepmo, une Camerounaise de 42 ans, a été interpellée à Bonabéri, dans le quatrième arrondissement de Douala, après avoir déclaré sur le plateau d’une chaîne de télévision privée, huit jours plus tôt, qu’elle avait perdu ses jumelles au début de la crise anglophone pendant le conflit dans la ville de Kumba, au Sud-Ouest.  

Le 15 mai 2020, le journaliste Kingsley Fumunyuy Njoka avait été « enlevé » dans des conditions similaires à son domicile à Bonabéri, et la nouvelle n’avait été sue que plusieurs semaines plus tard, lorsqu’une Organisation non gouvernementale avait repéré l’homme de média dans une brigade de gendarmerie. Il en est de même des femmes du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC), un parti politique de l’opposition camerounaise. Elles ont été interpellées le 21 novembre devant la résidence du professeur Maurice Kamto, à Yaoundé. Elles s’y étaient rassemblées pour exiger pacifiquement la libération du président national de leur parti politique, assigné à résidence depuis soixante jours. Dans tous ces cas, aucun mandat d’amener n’a été notifié aux mis en cause. 

Les textes violés

Ces actes constituent des abus et violations des textes en vigueur au Cameroun. Le nouveau code de procédure pénale camerounais de 2006 précise en son article 31 du titre III consacré à l’arrestation : « Sauf cas de crime ou de délit flagrant, celui qui procède à une arrestation doit décliner son identité, informer la personne du motif de l’arrestation et le cas échéant, permettre à un tiers d’accompagner la personne arrêtée afin de s’assurer du lieu où elle est conduite. » Plus loin, l’article 37 de la même loi mentionne que « Toute personne arrêtée bénéficie de toutes les facilités raisonnables en vue d’entrer en contact avec sa famille, de constituer un conseil, de rechercher les moyens pour assurer sa défense, de consulter un médecin et recevoir des soins médicaux, et de prendre les dispositions nécessaires à l’effet d’obtenir une caution ou sa mise en liberté. » Contacté le vendredi 27 novembre à 16h36, un officier de police judiciaire impliqué dans l’audition des deux avocats a déclaré : « Je ne peux pas commenter une décision de justice. »

Théodore Tchopa (Jade)