Cameroun : Enseignement primaire : La précarité des instituteurs et maîtres des parents met en péril le droit à l’éducation des élèves

Cameroun : Enseignement primaire : La précarité des instituteurs et maîtres des parents met en péril le droit à l’éducation des élèves

La grève initiée par le syndicat des enseignants (Snycomp) s’est rendue à sa phase illimitée après une première opération « craie morte ». L’ensemble du territoire national est sous l’impact du mouvement d’humeur, surtout les zones d’éducation prioritaire et anglophones.

C’est désormais « le service minimum » contre ce qui s’apparente à « un complot contre l’éducation », explique Charles René Koung, le président du syndicat national des instituteurs contractuels et des maîtres des parents (Syncomp). La grève, qui a débuté le 21 février 2022, se poursuit. Les enseignants du primaire et de la maternelle donnent cours le jeudi et vendredi et font grève les lundi et mardi. Cette « prorogation de la grève » trouve sa justification dans le fait que les pouvoirs publics, particulièrement le ministère de l’éducation de base (Minedub), ont décidé de garder le silence face au mouvement d’humeur initié du 14 au 18 février 2022 et indiqué par la correspondance du 02 février 2022 adressée au Minedub. Les instituteurs et maîtres des parents continuent ainsi de revendiquer la prise en charge complète par l’Etat de ceux qui ne le sont pas encore, le paiement des actes d’avancement, ceux qui cumulent des arrêtés et des actes d’intégration, des allocations familiales, des primes de sujétion, des arriérés de vacation au CEP pour ceux qui devraient en bénéficier, et l’immatriculation de plusieurs enseignants par ailleurs sans salaire.

Revendications légitimes et légales ?

Pour ces professionnels de l’enseignement, c’est une violation grave de leur droit à un travail décent et dans les conditions idoines tels que soulignés par l’article 7 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Ce texte prévoit que “les États parties au présent Pacte reconnaissent le droit qu’a toute personne de jouir de conditions de travail justes et favorables”. Ce texte est identique à l’article 23 de la déclaration universelle des droits de l’homme qui traite du droit au travail et à une rémunération décente et de la liberté syndicale. Au niveau interne, c’est le non-respect de l’article 68 (1) de la Loi N° 92/007 du Code du Travail au Cameroun qui est convoqué. Il y est dit que « le salaire doit être payé à intervalles réguliers ne pouvant excéder un (1) mois ». Pourtant, l’article 19 (1) du décret n° 2000/359 du 05 décembre 2000 portant statut particulier des fonctionnaires des corps de l’Education nationale prévoit des recrutements sur titre dès lors qu’ils figurent « parmi les candidats titulaires du diplôme du premier cycle des Ecoles Normales d’Instituteurs de l’Enseignement Maternel et Primaire, ou d’un diplôme reconnu équivalent, délivré par une école étrangère ou internationale figurant sur une liste fixée par arrêté du Premier Ministre ».

Péril sur l’éducation

L’Etat, contraint par les instruments nationaux et internationaux d’assurer l’éducation des jeunes citoyens, fait dès lors face à une menace réelle sur ce projet national, mieux sur sa qualité. Dans le préambule de la Constitution, il est en outre précisé que « l’Etat assure à l’enfant le droit à l’instruction ». C’est toujours l’Etat du Cameroun qui s’est par ailleurs obligé en indiquant que « l’enseignement primaire est obligatoire » et que « l’organisation et le contrôle de l’enseignement à tous les degrés sont des devoirs impérieux de l’Etat ».

La grève prolongée pourrait altérer à long terme la formation des élèves sur l’ensemble du territoire national : d’abord dans les zones d’éducation prioritaire (ZEP) qui comprennent les régions de l’Extrême-Nord, du Nord et de l’Adamaoua, puis la région de l’Est ; ensuite dans les régions anglophones du Cameroun que sont le Nord-Ouest et le Sud-Ouest, et enfin dans les quatre dernières régions (Centre, Sud, Littoral, Ouest). Les ZEP sont enclines à l’insécurité, les secondes sont traversées par une crise sociopolitique depuis 2016 tandis que les dernières font également les frais du mouvement d’humeur dans un contexte où les infrastructures devant accueillir certains élèves de l’arrière-pays ne répondent pas toujours aux standards requis.

Ce sont ainsi 9257 écoles maternelles (préscolaire) qui sont concernées si on s’en tient aux statistiques du Minedub de 2018 : 3 837 pour le public ; 5 100 pour le privé et 320 pour les communautés pour un effectif d’élèves évalué à 515 895 pour 25 462 enseignants ; ce sont également 18 577 écoles primaires pour 93 723 enseignants et 4 707 887 d’élèves toujours selon le ministère de tutelle. La commission des droits de l’homme du Cameroun (CDHC), lors des Assemblées Générales des 21 et 22 décembre 2021 avait déjà relevé que 4293 établissements scolaires sont fermés de manière générale sur l’ensemble des zones en situation de crise sécuritaire : Extrême-Nord, Nord-Ouest et Sud-Ouest. S’agissant spécifiquement des régions d’expression majoritairement anglaise, 3220 écoles sont fermées dans le Nord-Ouest et 1004 dans le Sud-Ouest. Par conséquent, la mobilisation des enseignants de la maternel et du primaire vient s’ajouter à ces autres faits qui affectent la formation continue des apprenants.

Administration lente à réagir

Si les grévistes du secondaire ont été reçus en audience par le Premier Ministre, chef du gouvernement, le 1er mars 2021, leurs homologues du primaire et de la maternelle sont toujours dans l’attente. Et pourtant, lors d’une précédente grève en 2021, le climat entre le syndicat et le ministère de l’éducation de base s’était soldé par « la paix ». En effet, 58 800 enseignants sans avancement avaient exprimé leur mécontentement en 2021. Soit 98% des 60 000 professionnels de l’enseignement qui en étaient privés depuis bientôt deux ans pour à peine 100 instituteurs qui témoignent avoir effectivement perçu automatiquement leurs avancements. Laurent Serge Etoundi Ngoa, le Minedub, saisi par les syndiqués le 12 avril 2021 afin d’apporter des réponses à ce problème, avait réagi dans une correspondance datée du 04 mai 2021. La réponse laconique du ministre n’avait pas acquis l’adhésion des enseignants. « Je me réserve la latitude d’entreprendre les procédures idoines, dans le sens du partenariat qui lie le Snicomp et le Minedub », avait-il dit.

Une réunion devrait se tenir dans la semaine du 1er au 06 mars 2022. La grève quant à elle continue, assurent les instituteurs et maîtres des parents.

Hervé Ndombong (JADE)