Boko Haram, Des groupes d’autodéfense armés au détriment de la loi

Boko Haram, Des groupes d’autodéfense armés au détriment de la loi

En zone de combat, pour renforcer la sécurité derrière les lignes ennemies et atténuer la crainte des habitants,  l’Armée  organise les civils en comités de vigilance à qui elle donne des armes pour tenter d’assurer la sécurité des populations et jouer les éclaireurs. Au risque, parfois, de dériver. Les Ongs des droits de l’homme dénoncent.

Mora, région de l’extrême-Nord, département du Mayo Sava. Nous sommes à une vingtaine de kilomètres de la frontière avec le Nigeria. Depuis 2020, une cinquantaine de civils membres de groupes d’autodéfense ont été abattus par les combattants de Boko Haram. Des chiffres qui ont poussé les Ongs des droits de l’homme à donner de la voix,  pour dénoncer ces abus. 

L’acte de trop a été l’assassinat d’Aminou Barnabasse, gardien de prison de la maison d’arrêt de Mora, égorgé par les terroristes de la secte islamique Boko Haram. La victime aurait été suivie depuis la ville par les djihadistes jusqu’à son canton où il a été encerclé et abattu. Un membre d’un groupe d’autodéfense qui tentait d’intervenir a été également grièvement blessé.

Il y a quelques mois, 11 civils parmi lesquels les membres des groupes de comités de vigilance, ont été tués dans la localité de Tcharkamari située à une dizaine de kilomètres de Mora dans des affrontements avec Boko Haram.

En 2020, plusieurs attaques de la secte islamique ont entraîné la mort de membres de ces comités de vigilance créés par l’armée, pour jouer le rôle d’éclaireurs et lui donner des informations sur les mouvements des combattants Boko Haram. Même si les raisons évoquées pour former ces comités sont louables, les dérapages observés sur le terrain font problème. 

 Mora fait l’objet de multiples attaques de la secte terroriste. Quoique considérablement affaibli par les assauts de l’armée camerounaise, ainsi que par la force multinationale mixte installée sur place, Boko Haram conserve cependant une capacité  de nuisance qui se traduit par des attaques et incursions. C’est surtout l’assassinat des civils armés qui inquiète.

En 2018, lors de la campagne pour l’élection présidentielle, un cortège de plus de 30 voitures ayant à la tête Aba Boukar le maire de la ville de Mora, par ailleurs président de section Rdpc du Mayo Sava , a sillonné presque tous les villages de la localité de Mora pour battre campagne. Cette zone est la plus dangereuse. C’est là que Boko Haram a fait le plus grand nombre de victimes. Aller dans les profondeurs de ces villages était considéré comme un « suicide ». Malgré le fort déploiement des éléments du Bataillon d’intervention rapide (Bir), c’est avec la peur au ventre que nous avons couvert les meetings de campagne dans ces villages déserts, la plupart brûlés et détruits lors des multiples attaques de Boko Haram. 

La fierté d’être « un civil armé » 

La grande curiosité dans les cantons Limani, Kourgui, Kossa, Baldama, et les groupements de Djoundé et de Doulo, c’est l’attachement des populations aux groupes des comités de vigilance. Ils sont composés généralement de membres de ces villages dépeuplés, dont la plupart des habitants ont fui pour aller trouver refuge ailleurs. Les jeunes et personnes âgées recrutés dans les rangs des comités sont ceux qui ont choisi de rester pour défendre leurs traditions, éviter que les combattants de Boko Haram s’installent dans leurs villages. 

A Limani, nous avons rencontré plus de trois cents membres de groupes d’autodéfense. Pendant les meetings, ils ont été appelés par le maire Abba Boukar, et présentés en grande pompe aux habitants qui les ont accueillis avec des tonnerres d’applaudissements. Dans ces villages, c’est une véritable fierté de travailler pour des comités de vigilance. Ils ont comme seule tenue de simples chasubles de couleur jaune sur lequel il est écrit « CIV ». Ils portent tous des armes, dont l’origine ne nous a pas été révélée. 

Porter ces tenues dans ces villages enclavés permet d’avoir certains avantages sur le plan social. Une satisfaction apparente qui fait oublier tout le danger qui se cache derrière cet exercice. Ils n’ont aucune formation de pointe. Tout ce qu’ils ont reçu comme recyclage, c’est apprendre à repérer les comportements suspects et lancer l’alerte le plus vite possible le cas échéant, sans intervenir. Malheureusement, ces dernières années, Boko Haram s’attaque directement à eux. Et la donne a changé. 

Port d’armes très encadré

« Si les civils peuvent être organisés en comités de vigilance pour donner l’alerte, pas question de les armer comme ils le sont en ce moment. D’abord parce que la possession, et a fortiori le port d’armes sont au Cameroun strictement encadrés », précise une association de défense des droits de l’homme.

Elle poursuit en indiquant que seuls les membres des forces de l’ordre et certaines professions à risque peuvent être autorisés à en porter. Les chasseurs ou les amateurs de tirs disposant des autorisations nécessaires peuvent transporter leurs armes, mais uniquement dans le cadre de leurs activités et en aucun cas chargées.

 Pour les défenseurs des droits de l’homme, il n’est donc pas autorisé à un civil de porter des armes chargées à longueur de journée. L’ordre demande de s’abstenir absolument. Surtout que ces civils peuvent les utiliser à d’autres fins alors qu ‘ils n’ont jamais été formés pour cela. 

Les militaires se défendent

Plusieurs soldats rencontrés et qui ont préféré garder l’anonymat affirment que les armes utilisées par les comités de vigilance sont des « armes artisanales ». Pour eux, ces armes permettent aux civils de tenir en cas d’attaque de Boko Haram le temps que les éléments de l’armée arrivent sur le terrain.

Au tribunal de grande instance de Douala, les procureurs précisent que cet argumentaire ne tient pas la route,  puisque tout d’abord, même si l’arme est dite artisanale, il faut absolument qu’un permis de port d’arme soit délivré par l’autorité compétente.  Et ce n’est pas l’armée qui délivre cette attestation, mais la direction régionale de la police avec des mesures bien précises.

 Par ailleurs en zone de conflit, on ne saurait encourager les populations civiles censées être protégées par l’Etat, à aller affronter directement l’ennemi, c’est-à-dire à jouer le rôle de l’armée. Ici l’Etat « n’assume pas son devoir de protéger les citoyens, l’armée étant un corps de l’Etat,  chargé de jouer ce rôle protecteur ».

Des dérapages

Les avocats quant à eux sont inquiets sur les risques de dérapages et de débordements. Pour eux, un civil armé constitue une menace pour la société. Ils citent le cas de l’attaque  du village Ngarbuh dans la région du Nord-Ouest par les comités d’autodéfense armés comme ceux de l’extrême-nord.

Les membres de ce comité avaient attaqué, brûlé et pillé le village Ngarbuh dans des circonstances que personne ne connaît, entraînant la mort de nombreux civils parmi lesquels des femmes enceintes et des enfants. Ils avaient ensuite tenté de masquer cela en indiquant qu’il s’agissait d’un combat avec les séparatistes anglophones. Pourtant il n’en était rien. Les auteurs de ces incidents ont été arrêtés sur ordre du chef de l’Etat et sont en ce moment jugés au tribunal militaire de Douala. Les avocats ont peur que des scenarios pareils se reproduisent. 

Au Cameroun, l’Etat à travers les instruments juridiques a pris des engagements d’assurer la sécurité des habitants et garantir leur droit à la vie. Armer les civils constitue non seulement une violation de la constitution, mais aussi de l’article 6 de la charte africaine des droits de l’homme et des peuples qui stipule que tout individu a droit à la sécurité de sa personne. C’est aussi une violation de l’article 9 du pacte international relatif aux droits civils et politiques qui  rappelle que « Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne ».

Des textes qui interpellent l’Etat pour qu’il prenne des mesures pour stopper le massacre des civils dans les affrontements avec Boko Haram.

Hugo Tatchuam (Jade)

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