Assassinat de Martinez Zogo. Inquiétudes autour de deux enquêtes pour une même affaire

Assassinat de Martinez Zogo. Inquiétudes autour de deux enquêtes pour une même affaire

Le chef de l’Etat intervient directement dans l’affaire de l’assassinat de Martinez Zogo en ordonnant une enquête conjointe du Secrétariat d’Etat à la Défense (SED) et à la Délégation générale à la Sûreté nationale (DGSN). Alors même que le code de procédure pénale prévoit l’ouverture immédiate d’une enquête par le Procureur de la République en cas de mort suspecte. De quoi soupçonner une intrusion politique dans cette affaire et alimenter les doutes sur la sincérité de certains intervenants dans la recherche de la vérité.

“QUOI? DONC L’ENQUÊTE N’ÉTAIT PAS ENCORE OUVERTE? “,  ironise dans un post Me Emmanueml Simh. “Le code de procédure pénale camerounais prévoit qu’en cas de crime ou de délit flagrant, et surtout de mort suspecte, le Procureur de la République ouvre immédiatement une enquête. Ce qui veut dire qu’en l’espèce, l’enquête est supposée avoir été ouverte dès l’annonce de la disparition de monsieur Martinez ZOGO, ou à tout le moins dès la découverte de son corps. Il n’appartient pas au Président de la République d’ordonner au SED et au DGSN d’ouvrir une enquête dont on attend depuis plusieurs jours une communication officielle du Parquet Général, qui a ce pouvoir toujours aux termes du code de procédure pénale. Personnellement, ces « très hautes instructions », loin de me rassurer, m’inquiètent sur la tournure et l’issue de l’enquête. À moins que…… À moins que…… Je suis en prière. Pour mon pays.”, écrit Me Simh.

Ces inquiétudes sont consécutives à la correspondance du 27 janvier 2023 du Secrétaire Général à la Présidence de la République (Sgpr) adressée au Secrétaire d’Etat à la défense chargé de la gendarmerie (SED). En substance, le Sgpr exécute une instruction du chef de l’Etat qui met sur pied une enquête conjointe SED-DGSN (délégation générale à la sûreté nationale) afin de faire toute la lumière soit faite sur l’enlèvement, l’assassinat puis la découverte du corps du journaliste Arsène Salomon Mbani Zogo, animateur-radio et chef de chaîne d’Amplitude fm, une radio urbaine de Yaoundé.

Au cœur des procédures

En fait, le post de Me Emmanuel Simh traduit l’étonnement et l’inquiétude quant au fait de savoir que le président de la République a prescrit une enquête alors même que le Code de procédure pénale prévoit un mécanisme d’autosaisine du procureur et que la Constitution du Cameroun dans son préambule qui dispose que “la loi assure à tous les hommes le droit de se faire rendre justice”. Me Bopou Tchana John Michael essaie de justifier cette réaction à la lumière de la loi au Cameroun. “Je pense que l’inquiétude de Me Emmanuel Simh est tout à fait légitime pour tout professionnel du droit et des procédures judiciaires en l’occurrence les procédures en matière pénale”.

Tel que l’indique à ce propos l’avocat,”le code de procédure pénale dans ses articles 111 et suivants dispose qu’en cas de crime flagrant, le Procureur de la République est compétent pour diligenter l’enquête. Dans le cas d’espèce sous réserve d’autres éléments, il en ressort que le procureur de la République compétent s’était rendu sur les lieux où le corps sans vie du journaliste, Martinez ZOGO avait été découvert. Il s’en infère qu’au regard de la loi c’est cette autorité judiciaire qui devrait mener l’enquête face à ce crime flagrant puisque la dépouille a été découverte moins d’une semaine après sa disparition. Il s’agit là d’un cas de mort suspecte qui oblige le Procureur de la République à ouvrir une enquête judiciaire. Il sied de préciser que l’enquête judiciaire est secrète et ne peut donc pas être commentée dans le fond.”

Justement, après la découverte macabre du 22 janvier dernier, il est à noter que le Ministre de la communication avait annoncé une enquête et que le jour de l’enlèvement du corps sur le site concerné, les autorités judiciaires compétentes étaient présentes. Elles sont allées jusqu’à la morgue. L’enquête a effectivement été ouverte par le procureur de la République de Mfou dans la Mefou et Afamba. La famille avait également réclamé justice. L’autopsie, qui a été faite sur la dépouille, a révélé des traces de tortures et de mutilations. Aujourd’hui, les investigations exigées par le Chef de l’Etat suscitent des interrogations quant à la compétence du procureur de la République qui avait déjà ouvert une enquête et l’avenir de ce dossier qui touche, selon les premières observations, à plusieurs niveaux et degrés d’implication, et que désormais est impliqué le Tribunal militaire de Yaoundé.

Cet enchevêtrement de compétences interpelle quant à la nature de l’investigation initiée par le chef de l’Etat dès lors que certains voient dans l’acte présidentiel une enquête administrative qui pourrait ne pas aboutir à la détermination des auteurs du crime, à des arrestations et à des incarcerations si des responsabilités sont degagées. Me Bopou Tchana précise que : “Etant donné que le Procureur de Mfou a ouvert une enquête conformément aux dispositions du Code de Procédure pénale, l’on se retrouve donc en face de deux enquêtes ouvertes pour la même affaire. L’une par le Procureur de la localité où le corps a été découvert et l’autre ouverte conjointement par le SED et la DGSN sur hautes instructions du Président de la République.”

Toutefois, l’avocat rappelle qu’ “entre une enquête judiciaire [il sied de préciser que l’enquête judiciaire est secrète et ne peut donc pas être commentée dans le fond, précision du praticien du droit] et une enquête administrative, pour un tel cas d’espèce au regard du droit, c’est l’enquête judiciaire qui s’impose et qui prime. Mais au regard de l’environnement de cette affaire, l’on peut bien comprendre pourquoi l’Exécutif a choisi de la confier au SED et au DGSN au regard de la qualité et de la stature des personnes qui sont interpellées à ce jour dans un environnement où notre pouvoir judiciaire est instrumentalisé, fragilisé et méprisé”.

Du coup, “l’on se demande bien si le Procureur de Mfou pouvait aisément convoquer les hauts gradés de la DGRE pour les entendre sans l’aval de la Présidence de la République ?”, fait savoir Me Bopou Tchana qui soutient que l’enquête administrative dans un tel cas de figure n’est pas indiquée. “Or notre pouvoir judiciaire, s’il était auréolé de toute la puissance dont il a besoin pour garantir la justice, ce serait lui qui en ce moment devrait être le chef d’orchestre de l’enquête concernant cet assassinat odieux. Malheureusement, le pouvoir prépondérant, omniscient et omnipotent qu’est l’Exécutif vient de démontrer, s’il en était encore besoin, qu’au Cameroun, c’est lui l’alpha et l’oméga.”, regrette-t-il.

A ce propos, Me Dieudonné Takam rappelle qu’ “une enquête administrative, explique Me Takam, est une enquête interne à une administration. Elle est, généralement, ouverte à la demande du responsable d’un service administratif en vue de rassembler des informations lui permettant de prendre certaines décisions”. Bien plus, argue l’avocat, “a priori, le but d’une enquête administrative n’est pas d’envoyer le suspect en justice. Il s’agit précisément d’avoir des informations et de connaître la vérité sur ce qui se passe dans une  entreprise ou dans une administration donnée. Le but d’une enquête administrative n’est donc pas l’ouverture d’une procédure judiciaire. L’enquête administrative peut, à la limite, aboutir à des sanctions disciplinaires”.

Craintes justifiées de Me Emmanuel Simh ?

L’aboutissement de ce qu’il convient d’appeler aujourd’hui l’affaire “Martinez Zogo” reste ainsi l’équation à plusieurs inconnues que l’opinion, au même titre que Me Simh, veut voir résolue par l’Etat. Ici, il faut préciser que cette actualité est suivie de près aussi bien au niveau national qu’international. “La seule crainte que, nous les juristes, pouvions avoir est celle du non respect des procédures et principes d’une enquête équitable avec les garanties liées à la présomption d’innocence”, note Me Bopou Tchana qui mentionne les limites d’une procédure judiciaire qui se déroule dans un contexte qui lie politique, administration publique et justice.

“Lorsqu’une enquête est menée sur instruction d’une autorité judiciaire, il ne suffit pas de se cantonner à la recherche des éléments qui auraient permis de commettre l’infraction, il faut aussi rechercher des éléments à décharge contre les suspects. Or dans une enquête comme celle-ci, généralement une obligation de résultat pèse sur la tête des enquêteurs”, dixit Me Tchana Bopou. “C’est la raison pour laquelle, à tout prix et à tout les prix, il faut identifier des coupables afin de satisfaire le politique donneur d’ordre dont émane la décision d’ouverture de ladite enquête”, insiste le technicien du droit qui note, pour le déplorer, qu’ “au bout du compte l’on se rend compte avec cette affaire que la raison d’État a pris le dessus sur le droit”.

Dans un avis complémentaire mais qui offre une autre lecture des faits dans la décision du président de la République qui demande effectivement que toute la lumière soit faite dans l’assassinat de Martinez Zogo, Me Takam soutient que la procédure initiée par le chef de l’Etat ne pose pas problème. Selon lui, il peut arriver que le résultat d’une enquête administrative débouche sur l’existence des faits de nature pénale. Dès lors, le patron de l’administration en question peut porter ces faits à la connaissance des instances judiciaires compétentes.

“Vous comprenez donc que, contrairement à l’enquête administrative dont le but est de permettre au responsable de l’administration ayant sollicité l’enquête de savoir exactement ce qui s’est passé et de prendre les sanctions internes nécessaires, l’enquête judiciaire, quant à elle, a pour objectif de rassembler les éléments et indices et de savoir qui est où, quels sont les auteurs directs de l’infraction qui a été commise. Le but de l’enquête judiciaire étant, naturellement, l’ouverture d’une procédure judiciaire, le déferrement éventuel des concernés au parquet et leur jugement devant la juridiction compétente”, dixit l’expert du droit.

Pour Me Takam, la procédure initiée par le chef de l’Etat dans l’affaire Martinez Zogo est bel et bien de type judiciaire.  “L’enquête ordonnée par le chef de l’État est, bien, une enquête judiciaire parce que ce que les gens ne savent pas, c’est qu’en réalité, c’est Paul Biya qui nomme le ministre d’État ministre de la Justice, garde des sceaux et il peut donc donner des instructions au patron de la justice qui, lui-même, peut donner des instructions aux procureurs généraux près les cours d’appel qui, eux à leur tour, peuvent donner des instructions aux différents procureurs de la République de leurs juridictions compétentes”, explique le juriste. “Alors, vous comprenez que du moment où c’est le chef de l’État qui nomme le ministre de la Justice (Minjustice), il est, lui-même, le premier procureur de telle sorte que si par exemple, le procureur de la République n’agit pas, le procureur général n’agit pas, le ministre d’État ministre de la Justice n’agit pas, le chef de l’État peut, lui-même, ordonner l’ouverture d’une enquête”, conclut l’avocat.

Dossier complexifié

Peu après le début des interpellations, on apprend que le Commissaire du gouvernement a fait son entrée dans le dossier “Martinez Zogo”. En effet, les dernières évolutions indiquent la présence d’hommes en tenue suspectés dans l’affaire Martinez Zogo et qui ont été interpellés. Ce qui a eu pour conséquence d’amplifier les craintes et autres inquiétudes autour de l’affaire, devenue quelque peu complexe. Quand on sait que plusieurs affaires concernant des journalistes ont souvent donné lieu à des enquêtes qui n’ont jamais livré leurs conclusions.

Sur la question justement du rôle que devrait jouer le tribunal militaire, et la suite que pourrait prendre l’affaire, c’est le secrétaire exécutif de l’Ong Mandela Center International qui apporte des précisions. Jean Claude Fogno explique que c’est un texte spécifique, sur la loi générale, qui donne la compétence matérielle au Commissaire du gouvernement d’agir dès lors que des hommes en tenue sont impliqués. D’abord territorialement, les faits se déroulent dans sa zone de compétence, le département du Mfoundi, et ensuite parce que la qualité des suspects donne ipso facto à la juridiction militaire d’agir. L’article 4 de la loi 2017/012 portant code de Justice militaire précise que :

“(1) En cas de circonstances exceptionnelles telles que prévues à l’article 9 de la Constitution, de menace grave à l’ordre publique, à la sécurité de l’Etat ou de terrorisme, le Tribunal militaire de Yaoundé, peut exercer ses attributions sur l’ensemble du territoire national (…)”. Le texte en son alinéa 2 ajoute que “le Tribunal militaire de Yaoundé  est également compétent pour connaître des infractions de toute nature commises par des militaires en mission ou en opération hors du territoire national”. L’article 8 de la loi de 2017 est encore plus précis. “Le Tribunal militaire est seul compétent pour connaître (e) des infractions de toute nature commise par des militaires ou par le personnel civil en service dans les Forces de défense, avec ou sans coauteurs ou complies  civils, soient à l’intérieur d’un établissement militaire soit dans l’exercice de leurs fonctions”, (g) “des infractions de toute nature commises avec des armes des catégories visées au paragraphe f (…)”.

Actualité dominante

Du reste, l’affaire de l’assassinat de Martinez Zogo est en cours au SED; plusieurs interpellations ont eu lieu dont celle du patron du groupe l’Anecdote, qu’on soupçonne d’être le commanditaire ou l’un d’entre eux du meurtre de l’animateur-radio, et de ses proches collaborateurs au rang desquels le directeur général de la télévision Vision 4. Des hommes en tenue sont également auditionnés. Les médias locaux et internationaux suivent l’affaire ainsi que les organisations des journalistes, les hommes politiques et les chancelleries. Tous appellent à la justice pour Arsène Salomon Mbani Zogo alias Martinez Zogo, enlevé le 17 janvier 2023, retrouvé cinq jours à Ebogo, en périphérie de Yaoundé, la Capitale politique du Cameroun.

Bien que décédé, l’animateur-radio jouit toujours de ses droits par personnes interposées contenus dans la Déclaration universelle des Droits de l’homme à son article le 8 qui affirme expressément que “Toute personne a droit à un recours effectif devant les juridictions nationales compétentes contre les actes violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus par la Constitution ou par la loi”.

Hervé Ndombong (JADE)