10 ans de prison à cause d’un SMS ironique sur Boko Haram

10 ans de prison à cause d’un SMS ironique sur Boko Haram

Lutte contre le terrorisme. Les trois lycéens continuent de purger leur peine pour avoir partagé en 2014 un SMS ironique sur Boko Haram.

L’an 2021 : une nouvelle année derrière les barreaux a commencé pour Afuh Nivelle Nfor, Azah Levis Gob et Fomusoh Ivo Feh. La septième en détention à la prison principale de Yaoundé. Ces jeunes originaires des régions Nord-Ouest et Sud-Ouest ont pris de l’âge dans les geôles de Kondengui. En 2014, Nivelle avait 21 ans. Il en aura 28 le 13 décembre prochain. Levis, qui était âgé de 22 ans, en a pointé 29 depuis le 7 janvier dernier. Ivo avait quant à lui 25 ans. Il attend son 32eme anniversaire loin des siens.

Ces jeunes n’étaient pas des mineurs au moment où la justice s’est abattu sur eux, mais ils étaient encore des lycéens. Levis venait d’être reçu au GCE Advanced Level (l’équivalent du baccalauréat) au moment de son arrestation en décembre 2014. Il avait rejoint ses deux amis qui étaient en détention depuis octobre pour l’un, et depuis novembre pour l’autre. Les trois ne sont plus jamais retournés à l’école. Et ce n’est pas pour demain la reprise.

Broyés par la justice

Ils purgent chacun une peine de 10 ans de prison. La justice camerounaise les a condamnés pour « non-dénonciation d’informations liées au terrorisme » et « complicité d’insurrection ». La sentence prononcée en novembre 2016 par le Tribunal militaire de Yaoundé a été confirmée en février 2019 par le Cour d’appel du Centre. Cette juridiction a même supprimé les circonstances atténuantes qui auraient pu justifier une diminution de la peine d’emprisonnement. Aujourd’hui, l’affaire est pendante devant la Cour suprême qui, au Cameroun, statue en dernier ressort. Il n’y a rien de surprenant aux lenteurs judiciaires car, c’est le propre de la justice camerounaise, affirme Me Victorine Chantal Edzengte Modo, membre du collège des avocats de la défense.

Les malheurs de Afuh Nivelle Nfor, Azah Levis Gob et Fomusoh Ivo Feh viennent d’un message écrit en anglais dont la traduction française avait donné ceci : « Boko Haram recrute des jeunes à partir de 14 ans. Conditions de recrutement : 4 matières au GCE, y compris la religion. » En temps normal, ce texto aurait fait rire. Mais ce ne fut pas le cas en 2014 dans un Cameroun où la région de l’Extrême Nord était en proie aux actes terroristes de la secte islamiste Boko Haram. Le message avait été retrouvé dans le téléphone de Nivelle, alors élève en classe de première au lycée bilingue de Deido, à Douala. L’enseignant ayant découvert le SMS avait alerté aussitôt la police. La machine judiciaire mise en branle avait permis de retrouver Levis puis de mettre la main sur Ivo à Limbe, la cité sur les berges de l’océan Atlantique dans la région du Sud-Ouest.

Au cours des procès qui s’en sont suivis, il n’a pas été établi de lien entre ces jeunes et Boko Haram. Aucune preuve de leur radicalisation n’a été apportée. Les mis en cause ont toujours déclaré avoir partagé un SMS hilarant et ironique dans un contexte où les jeunes diplômés sont en proie au chômage. Pourtant, leur blague a été d’un bien mauvais goût aux yeux des autorités judiciaires camerounaises. La répression déployée tombe sous le coup de la déclaration de principe sur la liberté d’expression en Afrique ; déclaration faite par la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples. Le principe XIII de cette déclaration appelle les Etats à revoir les restrictions criminelles relatives au contenu afin de garantir qu’elles servent un intérêt légitime et démocratique. L’emprisonnement des trois jeunes constitue par ailleurs une violation des principes et directives interdisant aux Etats d’utiliser la lutte contre le terrorisme pour restreindre les droits fondamentaux tels que la liberté d’expression. Il y a même violation de la Constitution camerounaise qui souscrit à la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Ce texte international reconnaît à tout individu le droit à la liberté et à la sûreté de sa personne.

Détention arbitraire

Bien avant leur condamnation, Nivelle, Levis et Ivo avaient été victimes d’une détention arbitraire. En effet, leur garde à vue a duré respectivement 4, 5 et 6 mois, selon le moment de l’arrestation de chacun d’eux. C’est en mars 2015 que le mandat de détention provisoire les a retrouvés à la prison principale de Yaoundé où ils séjournaient déjà sur la base d’un bon de garde à vue. Selon Me Edzengte Modo, tous les délais de garde à vue ont été battus ; surtout que ses clients sont jugés selon le Code pénal et la loi du 12 Juillet 2017 portant Code de justice militaire. Elle rappelle qu’à l’époque des faits, la loi antiterrorisme de décembre 2014 n’existait pas.

Le séjour à Yaoundé est une épreuve supplémentaire pour ces jeunes car, leurs familles respectives se trouvent soit à Douala, soit à Limbe ou encore à Bamenda. Depuis 2017, Levis et Nivelle voient rarement leurs mères. Paysannes dans la localité de Kotto Up dans la région du Sud-Ouest. Dames Regina Ake et Judith Foh Ngah, elles affirment que leurs économies se sont épuisées au fil des années. Elles ont fini par s’en remettre aux organisations internationales, dont Amnesty International, qui prennent en charge leurs enfants aujourd’hui.

L’affaire de Levis, Nivelle et Ivo, dont les faits remontent à 2014, n’aurait jamais dû arriver devant le tribunal militaire de Yaoundé. En effet, cette juridiction d’exception jouit d’une compétence nationale depuis la loi portant Code de justice militaire du 12 juillet 2017. Répondant à cette critique, un magistrat militaire affirme que le transfert des mis en cause à Yaoundé s’est révélé une bonne décision, surtout depuis que l’affaire se trouve devant la Cour suprême siégeant dans la capitale. Ils sont ainsi épargnés de voyager à chaque audience. Le magistrat assure par ailleurs qu’à la prison principale de Yaoundé, les dispositions ont été prises pour que ces jeunes bénéficient d’une bonne nutrition et des soins de santé appropriés.

Jusqu’ici, la mobilisation internationale n’a pas permis la libération de Afuh Nivelle Nfor, Azah Levis Gob et Fomusoh Ivo Feh. En 2017, au moins 310 000 personnes avaient signé des lettres et une pétition adressées au président de la République du Cameroun, Paul Biya. Quelques célébrités comptaient même parmi les signataires, notamment Patrick Mboma, ancien footballeur et icône camerounaise, ainsi que le milliardaire britannique Richard Branson.

Assongmo Necdem, avec Jade