10 000 Fcfa l’acte de naissance. Les Bororos ne veulent pas payer

10 000 Fcfa l’acte de naissance. Les Bororos ne veulent pas payer

Malgré les efforts consentis par certaines organisations publiques ou privées pour favoriser l’enregistrement des naissances pour tous, les membres de cette communauté traînent le pas.  « On n’a pas l’argent », disent-ils.

Le fait pourrait surprendre certaines personnes. Et pourtant cette image reste symbolique. Ce mercredi du mois d’octobre 2020, Awa Fatou, membre de la communauté bororo de Fongo-Tongo et déplacée interne de la crise anglophone, brandit, avec fierté, sa carte nationale d’identité comme un trophée de guerre acquis de longue et haute lutte.

Par contre, il est difficile pour elle de renseigner les uns et les autres sur la date de son anniversaire ou même sur son mois de naissance. La pièce officielle, qu’on lui a remis,  laisse percevoir qu’elle serait née vers 1969 à Bafou dans le département de la Menoua.   Elle vit avec son compagnon Adamou Gambo, né vers 1960 à Bamenda. Lui aussi, il est incapable de communiquer aisément sur les données de sa filiation ou les chiffres inscrits dans sa pièce d’identité. Car, rapporte-t-il, c’est une fois devenu adulte qu’un acte de naissance, une carte nationale d’identité et une carte d’électeur lui ont été confectionnés « parallèlement pour des besoins liés à la recherche de  sa voix électorale ».

Cinq enfants « sans identité »

 Ce qui laisse présumer que sa naissance n’a pas été enregistrée dans le délai de moins de 90 jours après la naissance, requis par la loi camerounaise ou le code civil. Tout comme celle de sa compagne. D’ailleurs, ces deux « mariés » vivent depuis plus d’une trentaine d’années sans acte de mariage qui formaliserait leur union. Plus grave encore : cinq de leur huit enfants n’ont pas d’acte de naissance .   Fadimatou(13 ans environ), Aicha(10 ans environ), Amidou(16 ans environ), Rachidatou(4 ans environ), Idrissou(22 ans environ) se sont débrouillés seuls ou ont profité de la générosité d’une organisation bienfaitrice pour voir leur existence enregistrée sur un registre d’état-civil. Cette famille est loin d’être la seule à être constituée d’enfants « sans identité » ou « invisibles ».

Selon Charlie Tchikanda, directeur exécutif de la ligue des droits et des libertés(Ldl), plus de 400 enfants bororos sans acte de naissance ont été recensés dans la commune de Bafoussam Ier. Le responsable de la Ldl fait remarquer que « l’inégalité dans le taux d’enregistrement des naissances, outre le fait d’aggraver, la discrimination et la vulnérabilité, peut aussi aggraver les inégalités dans l’accès aux services de base.»

Et il rappelle enfin que les efforts réalisés pour reconstituer ces actes de naissance répondent aux impératifs de l’article 7 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant qui stipule que : « L’enfant est enregistré aussitôt après  sa naissance et a, dès celle-ci, le droit à un
nom, une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d’être élevés par eux »,

Des actes frauduleux

Afin de réduire cette disparité dans la commune de Bafoussam IIème, Mme Kouam, la responsable du service social, a lancé, quant à elle, une opération de recensement des enfants bororos à leur naissance. Elle parle de centaines d’enfants sans acte de naissance, notamment dans le campement de Tchada-Baleng et dans plusieurs quartiers en milieu urbain dont celui de Djeleng II.

 « Les services sociaux doivent se mobiliser pour aider ces personnes vulnérables à comprendre l’importance des actes d’état-civil. Ils ne doivent pas se laisser berner par des personnes mal intentionnées qui leur proposent des actes frauduleux au prix de 5000 Fcfa », prévient l’assistante sociale, qui pointe du doigtles fraudes répétées dans l’arrondissement de Koutaba (département du Noun). « J’ai servi dans cet arrondissement. Nous avons recensé plus de 1000 enfants bororos sans acte de naissance. Nous avons demandé que les parents contribuent à hauteur de 10 000Fcfa par enfant afin que l’on établisse des actes de naissance. Cette somme inclus près de 3000 Fcfa à titre de frais de timbre fiscaux ou communaux et le reste est repartie entre frais de procédure judicaire et moyens logistiques pour l’opération. Ils n’ont pas coopéré. Il doivent pourtant comprendre que ces reconstitutions engagent des frais », explique-t-elle.

Dans le département de la Menoua, des actions similaires sont envisagées, avec encore moins de succès. Les Bororos ne sont pas prêts à débourser un sou pour se faire établir un acte de naissance. « On ne travaille pas. Il est difficile pour nous de débourser une somme d’argent de 10 000 Fcfa pour l’établissement d’un acte de naissance. Nous sommes des déplacés internes de la crise anglophone. Nos bœufs ont été abattus. Nous n’avons pas accès à ce qui reste de notre cheptel dans le département de la Mezam. Nous avons été pénalisés par le conflit armé des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. On n’a pas de l’argent pour payer les gens qui enregistrent et établissent des actes de naissance », souligne Awa Fatou.

Elle voudrait bien que ses cinq enfants aient des actes de naissance, mais elle n’est pas prête à consentir un sacrifice financier pour cela. Peut-être, parce qu’elle est encore loin de comprendre que l’acte de naissance est le fondement de la nationalité et de la citoyenneté camerounaise.

Guy Modeste DZUDIE(JADE) 

 

Michel Pascal  Penka, adjoint au maire

Actes de naissance gratuits pour les enfants « fantômes »

Deuxième adjoint au maire de la commune de Bafoussam II, ce diplômé en droit et science politique est par ailleurs responsable du centre secondaire d’état-civil de Bansoa III. Pour lui, il n’y a pas d’enfant illégitime ou naturel. Tous sont égaux en droits et en devoirs. Ils ne doivent pas rester des « fantômes. »

Q-Monsieur le maire, dans quel intérêt établit-on un acte de naissance ?

Un enfant qui n’est pas déclaré à la naissance n’existe pas juridiquement. La déclaration et l’enregistrement des naissances, l’inscription officielle dans les registres d’état-civil établissent au regard de la loi l’existence de l’enfant et constituent ainsi les conditions minimales permettant l’octroi de la nationalité et de la citoyenneté avec ses corollaires que sont la préservation de ses droits civils, politiques, sociaux, économiques et culturels. Au Cameroun, ces questions sont régies par des dispositions combinées de l’ordonnance du 1981 sur l’état-civil et les dispositions du code civil.  Au plan international, il faut convoquer ici l’article 7 de la Convention relative aux droits de l’enfant qui dispose : « tous les enfants ont le droit à l’enregistrement de leur naissance sans discrimination ». Je le fais gratuitement. Les bénéficiaires doivent juste s’acquitter des frais de timbres fiscaux (1000Fcfa) et communaux (600 Fcfa).

Q-Quelles sont les procédures en la matière ?

Au  plan procédural, l’enregistrement des naissances comporte trois étapes qui sont indissociablement liées les unes aux autres, la première consiste à déclarer l’enfant auprès d’un officier d’état civil. En second lieu, il incombera à l’officier de l’état civil d’enregistrer, se fondant sur un certificat de déclaration du Médecin ou de l’infirmier accoucheur, officiellement la naissance. Dans les cas où la naissance a eu lieu hors d’un centre hospitalier, le témoignage du chef du quartier ou du village est requis. Nous portons un regard attentif sur les cas des communautés bororos. Elles vivent le plus souvent dans des campements, éloignés des maternités.
L’enregistrement effectif doit nécessairement comprendre le nom de la personne, sa date et son lieu de naissance ainsi que les noms, l‘âge, le lieu de résidence habituelle et la nationalité de chacun des deux parents, du moins si leur existence est connue de la famille. Nous suivons les exigences de l’Organisation des Nations Unies pour l’enfance(Unicef) dans ce sens. Il n’est plus question de marquer « père non déterminé ou pnd » dans un acte de naissance. La troisième et dernière étape de ce processus est l’établissement de l’acte de naissancede l’enfant, document, émis par l’Etat à travers les collectivités territoriales décentralisées que sont les communes ou les villes et  les centres secondaires d’état civil. Le document signé par le maire ou l’officier d’état-civil attestera de l’identité légalede l’enfant. Le droit à l’enregistrement, et plus particulièrement l’acte de naissance, est le passeport qui toute la vie durant permet de faire reconnaître ses droits humains les plus légitimes dont celui de pouvoir à son tour déclarer ses propres enfants.

Q-Les enfants issus d’une origine économiquement et socialement modeste à l’instar des Bororos ou des pygmées Baka au Cameroun se trouveraient fortement discriminés au niveau de l’enregistrement des naissances ? Que faut-il faire pour rattraper l’absence d’acte de naissance chez un enfant ?

 Sensibiliser la famille reste le moyen le plus efficace de contribuer à l’amélioration de la situation sur le terrain. Les dispositifs légaux déjà existants ne sont pas suffisants pour réduire le phénomène des enfants « fantômes ». En droit positif camerounais, il existe une procédure de constitution d’acte de naissance. Il faut passer par un jugement constitutif  devant le tribunal de grande instance ou de premier degré territorialement compétent. Nous  conseillons habituellement le tribunal coutumier. Là, la procédure est rapide et moins onéreuse. C’est muni d’un jugement constitutif que le concerné ou son parent s’adresse au maire ou à l’officier d’état civil afin que son acte soit établi hors des délais légaux ou reconstitué en cas de perte ou de destruction. La base de cette action est le certificat d’âge apparent délivré par le médecin. Il y a aussi le jugement supplétif qui permet d’opérer des rectifications dans l’acte de naissance. Les jugements constitutifs ou supplétifs sont importants. Chaque enfant doit posséder un acte de naissance. Parce que la Déclaration universelle des Droits de l’Homme (1948) stipule dans son article 1er que « tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits ». L’article 6 précise que « le droit à l’enregistrement des naissances et le droit de chacun à la reconnaissance de sa personnalité juridique » constituent un droit de l’homme universel.

Propos recueillis par Guy Modeste DZUDIE